lundi 4 juin 2012

Une vie , la musique

Une vie pour la musique : elle changea ma vie, m’adopta, me protégeât ; Peut etre serais-je devenu voyou, aurais-je succombé à la tentation de la drogue, serais-je devenu terroriste à l’image de la bande à Baader, ou rejoins une secte qui aurait su parler à mon cœur captif, idealiste.

Cet amour de la musique est né de trois révélations : la première, en vacances alors que j’étais un enfant solitaire, j’entendis la voix de Ray Charles au juke-box du « petit casino » de Dinard, tel que nous appelions la salle de jeu située juste en face de la mer. Ce fut une vague qui m’emporta et quitter le rivage d’une vie sans horizon pour toujours.

Plus tard, j’entendis un soir à la radio une chanson tellement belle que même le présentateur de la station RTL se retint de parler à la fin du titre, ajoutant « c’était trop beau, je ne pouvais pas ». La chanson était « La Mémoire et la Mer » de Léo Ferre.

La troisième fut le concert des Rolling Stones à L’Olympia en 1966 : je sus à ce moment qu’il y avait une autre vie que celle proposée dans les immeubles de briques qui longent les boulevards extérieurs de Paris.

Ensuite ma vie fut toute tracée : la musique, seulement la musique. J’avais inventé l’existence d’une famille en Angleterre qui m’accueillait pour apprendre l’anglais dans le but de convaincre ma mère à me laisser partir tous les weekends à Londres. Le vendredi soir je prenais le train à la gare du nord, traversait la Manche avec le ferry, arrivait à Londres à 7h du matin : immédiatement j’allais a Portobello Road chercher toutes les nouveautés disques et à la fin de la journée j’écoutais les groupes du moment dans des clubs comme le Marquee, Middle Earth, Roundhouse ; Ainsi j’ai entendu les Pink Floyd, Who, Small Faces, Kinks, Led Zeppelin, Jimi Hendrix et tant d’autres.
Le lundi matin j’arrivais à 8 h à la gare du nord et rejoignais directement le Collège Sainte Barbe ou ma mère m’avait placé pour éviter les mauvaises fréquentations du 13e arrondissement.

Très naturellement je décidais de devenir musicien et appris à jour de la guitare basse : c’était la seule place de libre dans un groupe de copains, ainsi naquit notre groupe Contrepoint. C’était l’epoque de Gong, Magma, Catherine Ribeiro, et il nous arrivait de conduire 1000 km dans notre estafette Renault, pleine à ras bord, pour jouer devant seulement une dizaine de personnes et repartir ensuite à Paris. Notre moment de gloire fut quand nous formèrent un « super groupe » avec des musiciens de Soft Machine : Hugh Hopper, Elton Dean, Lol Coxhill. Le groupe s’appela Monster Band et nous effectuèrent une très belle mais unique tournée française.

Grace aux Soft Machine, plus précisément à un ancien Soft, Kevin Ayers, je rencontrais les Beatles. Kevin enregistrait son premier album « Joy of a Toy » à Abbey Road. Un après midi, j’ouvris la gigantesque porte du studio voisin car je voulais savoir qui était ce groupe qui jouait du rock depuis de longues heures, et quelle surprise de voir quatre têtes se tourner vers moi à l’unisson : John, Paul, George, et Ringo. De ces quelques journées Londoniennes me reste une superbe photo dédicacée par les Fab Four.

Rapidement dans Contrepoint, les difficultés de la vie en groupe firent leur apparition et un jour un ami Daniel Betan m’appela : je quitte mon travail chez Phonogram pour aller dans une autre maison de disques, cela t’intéresse ?

L’après-midi même j’étais dans le bureau de Jean-Paul Commin. Notre entrevue se limita à quelques questions : aimes-tu la musique ? Parles-tu anglais ? Peux-tu commencer immédiatement ? Trois oui y répondirent ; Dès le lendemain matin j’étais en route pour les bureaux Londoniens d’Island Records, j’ignorais encore que c’était avec cette maison de disques que se déroulerait presque l’intégralité de mon parcours professionnel.

Chez Phonogram, j’étais le Label Manager (bien plus joli nom que l’actuel « chef de produits » !) des catalogues Island, Charisma et ECM ; Je devais me pincer pour réaliser que ce n’était pas un rêve, j’étais payé pour rencontrer et travailler avec Bob Marley, U2, Marianne Faithfull (Island), Genesis, Peter Gabriel (Charisma), Keith Jarrett, Jan Garbarek (ECM). J’étais sur le toit du monde !

J’aimais tous ces artistes mais ne tentait pas de devenir leur ami, simplement heureux d’etre là, attentif à leurs besoins, d’assister à leurs concerts, participer à leurs activités promotionnelles, travailler à la sortie d’un nouvel album.  Plus tard j’appris que Bob Marley s’était habitué à me voir lors de ses visites françaises et fait savoir à son entourage qu’il m’appréciait. Bien après sa disparition je le retrouverais, l’inspiration à de nouveaux projets professionnels: manager de Yannick Noah et la création de ma société Talents Distribution.

Un film de Charlot avait marqué mon enfance : « L’émigrant ». Après la dernière tournée de Bob Marley en France, je partis aux Etats-Unis, en Floride, pour y créer mon premier label : Europa Records avec dans mes bagages des enregistrements de Chet Baker, Stéphane Grappelli, Sugar Blue, que des amis producteurs m’avait confiés. Ils jugeaient mon aventure un peu folle, mais néanmoins me faisait confiance.

Je réussis à organiser un réseau de distribution dans tout le pays mais rapidement me retrouvait à court d’argent : pas question d’abandonner, je trouvais un emploi dans une usine de production de jus d’orange pour régler mes factures. J’étais en bout de chaine et « l’immigré » du petit monde qui m’entourait, principalement des noirs américains dont beaucoup était en liberté conditionnelle. Mais j’avais confiance ; je fus même un peu triste lorsque je quittais l’usine pour la dernière fois, abandonnant mes co-workers, que je savais ne revoir jamais.

Je partis pour New York, toutes mes affaires dans une vehicule de location que je laissais sur Broadway et appelait quelques amis pour etre hébergé. Europa s’installa dans un immeuble du Village qui abritait Keith Haring, Rounder Records, Roar  Cassettes, et je trouvais les fonds nécessaires pour produire de nouveau disques avec Don Cherry, Les Lounge Lizards, Jim Pepper : ils furent programmés sur de nombreuses stations de radios, les « Collèges Stations », et de nombreux article de presses commentèrent leurs sorties. Quel immense souvenir que celui d’écouter au milieu de la nuit, traversant Manhattan en taxi, le titre « Witchi-Tia-To» de Jim Pepper. Mais etre payé restait difficile et je n’hésitais pas à faire 2000 kilomètres en voiture pour récupérer un chèque ou mes disques. Comme ce fut le cas lors d’un voyage mémorable à Atlanta, chez le distributeur local Tara records. Peut-être se souviennent-ils encore de ce « crazy  frenchkid » qui sauta, pieds joints sur le bureau du directeur, « I want my money !! »

Le problème de règlement était celui de tous les labels indépendants. Un soir à l’invitation de Tom Silverman de Tommy Boy Records, je me rendis en compagnie de Neil Cooper du label Roar à une réunion à l’hôtel Hilton. Devait y etre discuté avec la création de « l’Independant Coalition ». Parmi la douzaine de personnes présentes Morris Levy, au cv assez controversé en raison de ses relations douteuses, accompagné de quelques-uns de ses amis. Lorsque j’abordais « mon » problème, ils me firent comprendre, amusés, qu’il serait réglé à leur façon. Il n’y eut pas de deuxième réunion et le projet de « Independant Coalition » fut abandonné.

A l’écoute de la célèbre station de musique noire WBLS,  je pensais à Serge Gainsbourg et  contactait son directeur artistique, Philippe Lerichomme pour lui proposer de réaliser le prochain album de Serge à New York. Je fis parvenir quelques enregistrements, un attira l’attention de Serge : « Trash It Up » interprété par Southside Johnny, produit par Nile Rogers.  J’avais rencontré  Johnny et son groupe les Asbury Jukes à Paris, contacter son manager, le convaincre et négocier avec lui en fut facilité. David Sonneberg m’appris qu’en fait le titre choisi avait été en fait réalisé par Billy Rush, guitariste du groupe.

Ainsi quelques semaines plus tard, j’emmenais Serge et Philippe en voiture, traversant la banlieue industrielle du New jersey, dans un décor digne du générique des Sopranos, à la rencontre de Billy Rush : l’album qui allait naitre sous mes yeux s’appela : « Love On The Beat ».

Rare  français à travailler au cœur du monde musical aux Etats-Unis, je fus nommé « Chargé de Mission » par le Ministère de la Culture, dirigé alors par Jack Lang. Le « Rapport Weiller : Les Industries Musicales Américaines », donna naissance sur ma recommandation au French Music Office à New York, le premier de nombreux Bureaux de la Musique Française à travers le monde.

Mais les temps restaient difficiles, Chris Blackwell, PDG-fondateur d’Island m’invita à rejoindre le bureau de New York, appréciant ma tentative américaine et se souvenant des mots de Bob Marley à mon sujet. Il me donna carte blanche, « fait ce que tu aimes ». Je m’occupais des labels Antilles/New Directions, du  jazz, des musiques de films d’Island Pictures, dont le premier film de Spike Lee, produisit « Coast to Coast » un album de Cornell Dupree, nominé aux Grammys dasn la catégorie meilleur disque de Rhythm’n’Blues instrumental. Des années de rêves jusqu’au moment où Chris me demanda à trois heures du matin, dans un club ou se produisait les Gypsy Kings,  si j’acceptais de rentrer à Paris créer une nouvelle société : Island France, sans hésiter, je répondis, au « feeling », oui. Je quittais des réunions de marketing sur un bateau devant la statue de la Liberté, ou de stratégie chez Chris aux Bahamas, et retrouvais Paris le 1 janvier 1989, comme Président-Directeur Général d'Island France SA.

Apres avoir trouvé bureau, assistante, un de mes premier rendez-vous fut avec Jean-Paul Goude pour préparer le grande fête du bi-centenaire de la révolution française, dont le directeur musical était notre artiste Wally Badarou. J’arrivais  des Etats-Unis avec le Rap dans mes bagages et organisait la première tournée de cette musique, Nation Rap, avec Sydney, donnant à cette occasion à un jeune DJ la possibilité de faire son premier disque : David Guetta.

Des succès s’enchainèrent, prévisibles comme Les Christians, d’autres moins, comme lorsque je repérais un titre perdu sur la Bo du film de Pedro Almodovar, Talons Aiguilles « Piensa en mi », par Luz Cazal. Ce fut pour elle le début de sa grande carrière Française, bien qu’elle ne fût alors même pas une artiste Island. Je signais Angélique Kidjo, Poupa Claudio, I Muvrini, parti en Chine avec Patrick Gaspard, chanteur Rennais. Notre bureau rue du Louvre était un lieu de plaisir, créativité, amitiés, et de respect, une « famille » en quelque sorte. Les artistes aimaient nous y rendre visite, comme U2, ce qui invariablement créait une certaine animation dans notre quartier.

Cela ne devait durer que quelques années. Island fut vendu à Polygram et rapidement tous les bureaux internationaux furent fermés sur ordre de l’acquéreur.

Je retournais sur mes pas, à Miami. South Beach était devenu incontournable depuis que Chris Blackwell avait décidé d’installer un studio d’enregistrement dans l’hôtel qu’il venait de rénové, le Marlin.  Je le prenais pour base et créait le label Uno Mundo avec pour artistes Rosco Martinez, PPDIX ; à Paris les artistes s’appelaient Claude Turner, Poupa Claudio, le bureau situé dans les locaux de la société de Jean Jacques et Robert Goldman, JRG.

Rosco Martinez, signé chez Universal par Jorgen Larsen, patron de l’International, était programmé pour devenir la première grande star Latino. A notre disposition, un budget illimité. Il succomba hélas à  la tentation et fut remplacé dans le même studio et avec le même producteur Desmond Child, par un autre « RM » : Ricky Martin. L’un voulait réussir, travailleur acharné, l’autre se contentait d’etre talentueux. Claude Turner fut beaucoup joué sur les radios françaises mais notre distributeur BMG ne nous donna pas les moyens « marketing » nécessaires pour transformer l’essai en réussite. Je le regrette toujours, quelle cruelle déception de ne pas faire partager à tous le talent d’un tel artiste. Quelques années plus tard je rejoignais Heat Music, premier label hip hop de South Beach, dont les artistes étaient Sly Kat et Cool & Dré, les futurs producteurs de Lil Wayne, Busta Rhymes.

En 1998, je devins le manager de Yannick Noah, orchestrant jusqu’à juin 2001, les années essentielles qui firent de lui non plus « un tennisman qui chante » mais un artiste reconnu. Je continuais ensuite mes activités de management avec le groupe noJazz à qui je fis rencontrer Mangu, Stevie Wonder, Earth, Wind & Fire, et Claude Nougaro qui enregistrèrent tous avec le groupe.  Le producteur de leur premier album était Teo Macero, célèbre dans le monde entier pour son travail avec Miles Davis. Je manageais également I Muvrini, Mangu et pendant quelques temps Charlelie. Par amitié, le peintre Catalan Antoni Tàpies réalisa le logo de ma compagnie : « Talents, les artistes qui change le monde »

En 2005, indirectement grâce encore à Bob Marley je fondais une société spécialisée dans la distribution de produits dérivés : Talents Distribution. Je souhaitais offrir un t-shirt à ma fille mais celui-ci introuvable, sur le conseil de Chris Blackwell, je contactais la société de la famille Marley, Zion Roots Wear, qui avec grand plaisir me donna les droits pour la France ; A cela s’ajouta de nombreuses marques comme AC/DC, Beatles, Rolling Stones : en fait le plus beau label du monde ! Très rapidement la société s’imposa comme la première en France sur ce marché, avec plus de 500 points de ventes. Talents fut revendu à la société Warner Music en 2010.

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