mercredi 21 octobre 2009

juin 1998 - juin 2001









Le parcours qui allait faire de Yannick Noah la personnalité préférée des français commença avec l'appel téléphonique d'un avocat, maître Pierre Cristiani : bonjour Jean Pierre, Noah cherche un manager pour mener à bien sa carrière de chanteur : est ce que cela vous intéresse ? Je vous ai chaudement recommandé et, en plus, vous avez travaillé avec Bob Marley, son idole.
En 2009,plus de onze ans après, ce parcours continue pour moi, avec le soutien d'un autre avocat: maître Jean Aittouares qui me représente dans ma demande à la justice de reconnaître mon travail acharné pour faire de Noah l'artiste qu'il est devenu, ceci à un moment ou personne ne croyait à sa carrière de chanteur.
Ce travail qui entre autre a fait de lui la personne "préférée" des français.

Je connaissais Pierre Cristiani, avocat spécialisé dans le droit de l’édition musicale, depuis longtemps car nous avions travaillé ensemble à la même époque chez Phonogram, maison de disques du groupe électroménager Philips, lui au service juridique et moi au département international, comme responsable des labels Island, Charisma et ECM.
Nous nous étions recroisé depuis et le respect que nous nous portions, sans trop nous connaître étais mutuel.


Noah, j’avais aimé son livre. Je l’avais d’ailleurs offert à un ami, Olivier Bas, que je retrouvais plus tard travaillant comme attaché de presse chez East-West, la maison de disques de Noah ; quel hasard incroyable! Olivier fut le premier à me mettre en garde : il n’est pas celui que tu crois, mais bien sur je ne l’écoutais pas.
Je savais que Noah aimait Bob Marley: je les assimilais inconsciemment frères jumeaux: généreux, charismatiques, nobles; Je répondis à Pierre, oui, j'ai envie de le rencontrer ; j’étais partant pour un nouveau projet, une belle et nouvelle aventure!

Notre première rencontre
Notre première rencontre eut lieu le 23 juin 1998 au Zebra Square , bar chic situé à coté de la Maison de la Radio à Paris. Quelques jours auparavant j’avais rencontré François Guibbaud, cousin de Yannick, bassiste au sein des Zam Zam , la dernière incarnation du groupe de musiciens de Yannick après "Urban Tribu", "Les Frites". François m'expliqua alors que Noah vivait à Londres et pour des raisons fiscales ne pouvait venir en France que’un certain nombre de jours par an et celui-ci respectait scrupuleusement, au jour près, cette règle fiscale. François Guibbaud était donc celui qui gérait les affaires du groupe en France ; celles-ci n’étaient pas très développées mis à part quelques concerts dans des clubs des copains ou lors d’exhibition de tennis pendant lesquelles ils animaient la partie musicale. Je découvrais ainsi l'existence et le terme "Tennis Concerts"; Généralement Yannick lors d'exhibition de tennis à travers le monde demandait à l'organisateur du tournoi d'inviter également son groupe pour principalement "faire la fête": ces musiciens qui avaient très peu d'occasion de travailler en France résidaient dans les plus beaux palaces et de plus étaient très bien payés.Ils adoraient Yannick!

Parmi ces activités musicales il y avait également le spectacle annuel dédié à l’association « les Enfants de la Terre » parrainée par Yannick Noah, qui se déroulait chaque année au Zénith de Paris an juin, à l’époque du tournoi de Roland Garros.
ZAM ZAM
Lors de cette première rencontre Yannick m'expliquait que le nouveau disque ZAM ZAM venait de sortir chez East West leur maison de disque. Il me le donna à écouter en m’expliquant que les résultats n’étaient pas brillant avec aucun passage en radio. D’où cette demande à me rencontrer pour savoir si je pouvais m’occuper de ce disque et prendre en mains sa carrière et celle du groupe.

J’écoutais l’album, indéniablement bien interprété mais sans direction, sans originalité. Le travail d’un groupe de bons interprètes mais sans imagination. Et des titres comme « Les Frites » tellement éloigné de ma conception de la musique, d'une exigeance artistique qui doit etre toujours présente, même dans les titres les plus légers.
Au détour des notes de pochettes, une bonne surprise : le nom de Wally Badarou qui avait participé à la réalisation de quelques morceaux.

Wally était synonyme de Island. Il jouait des claviers sur presque tous les disques « historiques » de la maison de disques, Grace Jones, Marianne Faithfull, Sly & Robbie, Robert Palmer (le riff de Addicted to Love, c’est lui !) , Salif Keita..
Il habitait à quelques pas des celebres studios d'enregistrements Compass Point Studio à Nassau aux Bahamas qui recevait entre autre Police, David Bowie, Talking Heads, Mick Jagger, James Brown venus enregistrer leurs nouveaux disques.

J'ai rencontré Wally en 1986 alors que je travaillais à New York chez Island. A mon retour en France en 1989 j’ai beaucoup revu Wally, notamment lors de la création musicale qu'il réalisa pour le spectacle du Bicentenaire de Jean-Paul Goude.
C’est avec plaisir que je le retrouvais dans le cadre de ce projet et surtout cela me rassurait quand à son avenir artistique.
Yannick Noah ne deviendrait jamais un chanteur reconnu en interpretant des titres comme « Les Frites » et nous ne serions pas trop de deux pour essayer de le convaincre: En Wally je trouvais un ami et un allié partageant ma conception d'une carrière d'artiste.

Le 26 juin, chez Yannick

Nous nous revîmes quelques jours plus tard dans l’appartement parisien de Yannick. Situé dans le quartier du Marais j’arrivais légèrement en retard, m’étant perdu dans le labyrinthe compliqué des rues à sens interdits. C’était tout à fait rarissime de ma part car je suis toujours à l’heure, la ponctualité faisant certainement partie des qualités indispensables d’un manager.

Je m’aperçus que c’était également une qualité de Yannick : un sportif arrive évidemment à l’heure des compétitions, même au dernier moment !
Cela allait lui arriver souvent au début de sa nouvelle carrière de chanteur lors de ces émissions de radio ou tv qu’il considérait avec un certain dédain comme le « service après vente » Combien de personnes se sont demandées ou bien me demandait alors: il va venir ? Il sera là à l’heure ? Les attachés de presse n’étaient pas rassurés mais il ne manqua aucun rendez vous.

Tous les musiciens étaient présents : Hervé le batteur, Michel le guitariste, François, bassiste et Philippe le clavier du groupe.
L’appartement du 4e étage était spacieux, agréable, clair, dans un environnement de murs très colorés. Il reflétait une certaine simplicité qui mettait à l’aise malgré une légère impression de non habité.

Yannick lui-même mettait à l’aise instantanément tout le monde, ses proches aussi bien que des inconnus, et j’allais apprécier chacune de nos rencontres dans les années qui allaient suivre.

Ce vendredi 26 juin restera un moment important dans notre histoire commune : j’expliquais à Yannick en quelques mots que je souhaitais simples, ma conception d’une carrière d’artiste, ce que je pensais pouvoir apporter à notre projet grâce à mon expérience et ce que je ne pensais pas pouvoir apporter. En résumé, je n’étais pas un producteur de « tubes », un faiseur de miracle, mais j’étais habitué à travailler au développement sur le long terme, pas à pas si nécessaire.

Chez Island nous prenions ce temps: combien de succès ont été bâtis à partir de petites avancées, d’abord modestes, qui avec le temps construisaient une véritable « carrière ».
Notre respect et attachement pour les artistes « maison » ressemblait à de la dévotion, voir à la vénération : Il était important pour nous de les faire connaître sans compromis,tels que nous les comprenions, ne pas les adapter à des plan « médias » mais au contraire adapter les médias à nos artistes.
Alors que dans la logique industrielle actuelle tout succès doit être rentable immédiatement, nous nous satisfaisions d’un article dans la presse, un concert dans un club, quelques passages à la radio, et je n’ai pas le souvenir que Chris Blackwell, le boss, nous ai reproché le premier millier ou les deux premier milles disques vendus du tout début, de bien maigres résultats, certainement inacceptable aujourd’hui.
Ces premiers milliers pour Robert Palmer, Marianne Faithfull, Third World, U2 qui allaient devenir des dizaines, des centaines et pour certain des millions d’albums vendus quelques années plus tard.

J’expliquais donc à Yannick et à ses musiciens que dans un premier temps je rencontrerais leur maison de disques East-West, une division de la major Warner Music, pour faire un état des lieux et ensuite leur présenterais ma stratégie. A cette même occasion, par souci de clarté j’annonçais mes honoraires de manager : vingt pour cent de toutes les recettes à venir liées à l’activité musicale : principalement les revenus provenant des disques, concerts, éditions musicales.

Ne nous connaissant que depuis peu, je dis à tous qu’il n’y avait pas d’urgence à signer un contrat. Je voulais ainsi que Yannick soit en confiance et ne s’engage avec moi, manager, que certain d’avoir fait le bon choix. C'est-à-dire à une decision murie basée sur ma future stratégie et ses premiers résultats.
D’ailleurs Bob Marley avait il jamais signé un contrat de management avec Chris Blackwell ? Est ce que U2 et leur manager Paul McGuiness ont, pour collaborer, attendu qu’un papier soit signé entre eux ?

Les grandes carrières, ou la plupart, ont souvent débuté, non par des accords signés entre des parties mais portées par une vision, la volonté de convaincre, persévérer, réussir, et pourquoi pas, l’ambition de « changer le monde » avec la musique.

Le contrat ne fut jamais signé, malgré plus d’un million d’album vendus, des concerts devant des centaines de milliers de spectateurs, et Yannick devenu, sa carrière musicale loin d’y être étrangère, « personnalité préférée « des Français.

Et mon nom disparu après les 300 000 albums vendus dès juin 2001.

Eté 1998
Ma première rencontre avec la maison de disques et ses representants eut lieu le 15 juillet dans les locaux de leur label EAST-WEST situés avenue Marceau dans le 17e arrondissement de Paris; c'était un hôtel particulier qui aurait plus convenu à une banque privée, un cabinet d'avocats ou bien une ambassade. Du lieu émanait une opulence et une élégance feutrée qui me semblait éloigné de l'univers de la musique que je connaissais, celui plus agité, plus urbain, dont les bureaux rappelait plus l'agitation d'une salle de rédaction d'un grand quotidien ou quelque fois même, une salle d'urgence d'un hôpital.
Je retrouvais là mon ami Olivier Bas, ancien attaché de presse chez Island France, devenu directeur de la promotion, ou de la "promo" dans le langage maison de disques, ainsi que le directeur du marketing Aymeric Beguin et nous fumes rejoints au téléphone par Christophe LeBelleguy, chef de produit du projet Zam Zam.
Olivier m'annonça que les résultats n'étaient pas bons, même très mauvais: les radios ne jouaient pas du tout le single YéYéYé, premier extrait de l'album . Le succès d'un titre à la radio est indispensable à la réussite commerciale d'un album; il conditionne son succès. Sans passage à la radio, le seul moyen de maintenir en vie le potentiel commercial d'un album à sa sortie, est une opération "marketing": en quelque sorte lui donner une résonance qu'il n'obtient pas naturellement.
Habituellement la stratégie complémentaire à la promotion radio est celle des passages en clubs ; souvent même quand la musique ne s’y prête pas, il est indispensable pour une maison de disques de trouver un habillage pour cette exploitation ; je ne serais pas surpris qu’existent des versions « club » de chansons de Mireille Mathieu ou de Charles Aznavour.
Généralement on reprend le titre original, on accélère le tempo à 120 BPM (beat per minute ou 120 temps par minute), on rajoute une grosse caisse, un tchac-boum- boum et le tour est joué:le fameux remix tant attendu est prêt pour l’envoi aux boites de nuits.
Dans le cas de YéYéYé cette option n’était plus envisageable car à mi-juillet, les titres de l’été tournaient déjà sur les platines des DJs. Ceux-ci les ayant reçus dès le mois de mai.
La proposition de d’une action « marketing « est à double tranchant et je m’en suis toujours méfié, particulièrement au stade du lancement d’un nouvel album ou d’un nouvel artiste.
Souvent artificiel, car ne reposant sur aucune réalité artistique ni résultats promotionnels, le « plan marketing » fait long feu et une fois la campagne terminée on entend plus ni la chanson ni parler de l’artiste.
Le marketing à outrance est en bonne partie responsable des déboires actuels des maisons de disques : combien de campagnes publicitaires ont été lancées avec pour seul but la rentabilité instantanée, au mépris du public: combien d’albums ont été ainsi vendus à coup de marketing alors que sur une douzaine de titres qu’ils comportaient seul un ou deux méritaient l’attention.

L’album ZamZam était de teneur artistique très inégale et certain titres l’exemple parfait de ce qu’un artiste crédible ne devrait jamais enregistrer : après « Les Frites », « YéYéYé » était une autre chanson ridicule et burlesque, sans doute l’intention première du groupe car « bien rigoler et s’éclater» passait à cette époque avant la qualité de la musique.Je préférais tourner la page très rapidement et repositionner l’ensemble du projet grâce à un autre titre qui figurait sur l’album : Madingwa.Cette chanson correspondait plus à ma vision naissante d’un univers musical de Yannick Noah, plus traditionnel, plus africain, plus lié à ses racines. Ancré dans son histoire personnelle. Déjà apparaissait les prémices d’une chanson comme « Simon Papa Tara » qui allait amorcer sa carrière musicale actuelle.

Travailler un nouveau single, c’est-à-dire une nouvelle chanson, me permettait d’organiser un plan de travail avec l’équipe East-West sur des nouvelles bases avec pour premier objectif de remotiver les medias. Par contre je ne désirais pas tout miser sur les passages radio et demandait à la maison de disques la réalisation d’un vidéo clip de ce nouveau titre.

Lors de ce premier rendez-vous je demandais également la production d’un vidéo-clip. Pour plusieurs raisons

La principale était que je savais ne pouvoir trop compter sur la présence de Yannick en media en raison de ces impératifs de séjour hors de France et de son aversion pour tout ce qui était de la promotion qu’il considérait à l’époque plus ou moins « comme de la prostitution ». Quelques mois et quelques années plus tard qu'elle ne serait pas ma surprise de voir des affiches sur les murs ou abribus vantant les merites de poeles à frire ou les slips Sloggy!
Dans un sens je le comprenais car une promotion non pensée en fonction du profil d’un artiste peut très rapidement dégénérer: j’ai même le souvenir de proposition d’interview pour une revue comme « Les Amis des Chiens » ou de passages dans des émissions pour joueurs de Bridge.

De la stratégie

Je désirais aussi projeter une image plus proche de celle que j’envisageais développer à l’avenir : Madingwa s’y prêtait tout à fait, un Yannick Noah plus roots, plus world music que ces précédents opus comme Urban Tribu ou Zam Zam. Compter sur une vidéo permettait également d’avoir à tout moment un outil promotionnel à disposition. Il serait utile également pour une première approche d’amorcer une carrière internationale.
Concernant les medias en général je souhaitais un travail de fond , de crédibilité et proposais l’organisation d’une tournée en province destinée aux medias locaux : je savais pertinemment qu’il ne fallait pas compter sur les poids lourds de l’époque, FUN, SKYOCK, RTL2 et surtout sur celui, voir le seul, qui comptait et décidait de tout : NRJ. Ma stratégie était de commencer à se faire reconnaitre d’abord en province avec l’intention que ce succès rejaillisse sur les radios parisiennes, dont bien sur l’incontournable NRJ.

A la suite de cette tournée des medias en province et pour la compléter je proposais une tournée des Fnac et des clubs.
Il était plus simple de travailler par période plus que par journées éparpillées et ces deux mini tournées répondaient à cet objectif. Disposer de Yannick pour une promotion plus articulée sur l’artistique que sur le tube de l’été.
Dans l’esprit d’une promotion essentiellement basée un concept artistique et non sur la poursuite du « tube » de l’été, je proposais des noms de réalisateurs de vidéo-clips comme CharlElie dont j’admirais le talent de vidéaste, plasticien et peintre et celui de Michel Meyer qui avait réalisé de magnifiques clips pour Island dont ceux de Poupa Claudio et Angélique Kidjo.
Encore plus décalé, je pensais à Bartabas et Ariane Mnouchkine sans avoir la moindre idée si ils réalisaient des clips.

Il est certain que j'investissais dans une créativité à 200%, à milles lieux du marketing et de la promotion traditionnelle. J’imaginais également utiliser des éléments de ce future clip dans la mise en scène de nos concerts, ne serait ce que succinctement par faute de moyens.
Je souhaitais aller rapidement et que le nouveau single soit prêt en septembre, le clip en octobre.
MCM nous proposait un concert pour l’ouverture du MCM Café le 17 septembre et l’équipe d’Olivier travaillait à obtenir notre passage au « Concert d’un soir » de RTL.

J’envoyais un compte rendu de ce rendez vous avec East-West à Yannick et aux musiciens en leur précisant que mon prochain rendez vous avec le label aurait lieu le lundi suivant.












Dans ce même courrier je demandais aux musiciens si ils avaient des enregistrements live de certaines de leur chansons ( pas « Les Frites » ! ) pour, comme de vrais artistes , les inclure sur le prochain simple en bonus de Madingwa.

Aout 1998

Pendant les jours qui suivirent cette réunion je me consacrais à la recherche du réalisateur de notre futur vidéo-clip. Je pensais tout d’abord à Michel Meyer et Seb Janiak que je ne connaissais pas. Son nom m’avait été donné par un des musiciens, me précisant que Yannick aimait bien le clip que celui-ci avait réalisé pour Jean-Louis Aubert. Ne sachant comment le joindre, je demandais cette information à Marc Marechal, directeur de la promotion chez Virgin.
Je restais en contact avec l’équipe East-West, Olivier, Aymeric, Christophe pour la gestion de l’activité en cours.
A cette même période je pris rendez-vous avec Michael Wijnen, Directeur du label East-West qui était la seule personne habilitée à valider ma stratégie de repositionnement du projet.
Je connaissais Michael depuis plusieurs années et le considerait comme un très bon professionnel du métier du disque. Un "Record Man" comme disait mes amis américains. Je lui exposais ma vision du projet Yannick & Zam Zam et je pense qu’il l’apprécia à quelques nuances près.
Par contre il m’informa d’un énorme problème, incontournable, que d’après lui je ne pourrais pas rectifier : l’artiste ne veut pas et ne fait pas de promo.
Bien sur j’avais déjà intégré cela dans ma stratégie et je pensais effectivement pouvoir le résoudre de deux façons :
Disposer de Yannick sur des périodes groupées plutôt qu’épisodiquement à la demande des médias. C’était une manière de travailler à laquelle j’etais habitué car la plupart des artistes chez Island étaient des artistes internationaux, donc disponibles uniquement par petites périodes, toutes prévues et organisées très longtemps à l’ avance.
Plus important, je voulais absolument cibler la campagne de promotion car je pensais que Yannick une fois en confiance se rendrait plus disponible à l’avenir. Ce fut le cas.

Quand on s’appelle Yannick Noah rien n’est plus facile que d’obtenir la couverture de magazines comme Elle, des hebdos télé ou celles de la presse people. Ce qui m’intéressait était obtenir de l’actualité dans les magazines qui parlaient de musique, de même des émissions de radio et de télévision. Il valait mieux ne pas communiquer que de communiquer au mauvais endroit, contrairement à l’adage : mieux en entendre parler, même en mal. Ce qui est egalement vrai.
La principale « nuance » pour Michael Wijnen était de ne pas réaliser de vidéo clip sans passage radio du titre concerné. Je m’y attendais mais anticipant les passages radios du prochain titre j’avais donc déjà commencé la réflexion sur sa réalisation.
A la fin de cette réunion il convia Yannick, le groupe et moi-même à venir à un « pot » de rentrée avec les artistes maison East-West le 26 aout. Pour rien au monde je n’allais manquer cela et confirmais notre présence pour cette date là, sans avoir eu le temps d’en parler à Yannick et au groupe.

Concernant le projet d’une mini-tournée des FNAC et des clubs, parmi tous les promoteurs de tournées, ou « tourneurs », mot que je n’ai jamais aimé et que je n’emploie pas, je pensais à Jean Gemin, qui avait travaillé avec les plus grands artistes de la planète Rock, de Telephone à Pink Floyd, entre autres.
Nous avions collaboré quelques années auparavant sur un projet dans lequel nous nous étions totalement investis, dans tous les sens du mot, lui comme promoteur et moi comme manager : la carrière d’un artiste cubain-américain basé à Miami : Rosco Martinez.

Interlude : Rosco

Rosco avait pour avenir, devenir la nouvelle star de la musique Latino -Américaine. Finalement à notre grand regret et celui de sa maison de disques Universal, au moment ou tout devait se déclencher, il « peta les plombs » grâce à différentes substances et retourna aux oubliettes. De cette expérience je retins que sans la volonté absolue de réussir, le Talent ne sert à rien. Au même moment, dans le même studio, avec le même producteur, Desmond Child, un autre artiste se préparait à devenir une grande vedette internationale : Ricky Martin. Je me souviendrais toujours de Desmond me répétant que pendant que Rosco dormait ou s’éclatait, Ricky travaillait !

Jean Gemin est un personnage attachant, bon vivant, généreux à la faute et je le soupçonne d’avoir fait ce métier pour des rencontres avec des artistes, le public, les voyages plus que par amour de la musique. A tout cocktail du show business, je préferais passer une soirée avec Jean pendant laquelle il racontait comment il avait retrouvé le batteur des Who, Keith Moon, perdu et oublié dans une ville après un concert, des anecdotes concernant les Rolling Stones des années 1970 en tournée en France, ou comment un campement de gens du voyages avait failli annuler un concert du groupe AC/DC à Bordeaux car ils avaient envahis l’esplanade située devant l’entrée du stade ou devait se dérouler le concert, et il n’était pas question qu’ils en partent!

Sa société avait connue de graves difficultés suite à des annulations de concerts de Michael Jackson et des Cranberries à la dernière minute et Jean me semblait plus disponible que d’autres pour s’occuper d’un projet débutant de zéro comme celui de Yannick et son groupe à l’époque. Je pensais aussi que son coté très humain plairait à tous et quand à moi c’était un vrai plaisir à l’idée de retravailler avec lui.

A la veille de courtes vacances de la mi-aout je faisais parvenir à tout le groupe un compte rendu d’où nous en étions à ce moment là :


Je leur parlais même de la possibilité d’un concert à Gaza car j’avais rencontré par l’intermédiaire de la société Night& Day des producteurs Palestiniens qui venaient de réaliser un disque avec les meilleurs musiciens de leur pays.
Nous avions sympathisés et élaborer des projets de concerts, qui hélas ne virent jamais le jour.

Pendant ces quelques jours de vacances je ne restais pas inactif : anticipant la sortie du prochain single Madingwa je réfléchissais à quel producteur confier le « remix » dont nous aurions certainement besoin pour rester dans la logique promotionnelle : passages sur radio FM, vidéo-clip sur M6 et MCM, remix pour les clubs.

Il n’était pas question de simplement ajouter au titre original une grosse caisse et accélérer le tempo à 120bpm, la recette habituelle. Dans un esprit proche de la « world music » que je commençais à percevoir comme la direction musicale à privilégier dans l’avenir je contactais Michel Sanchez, coproducteur du groupe Deep Forest. A cette époque le groupe était une référence absolue dans ce style de musique et de plus, un des seuls artistes français à voir réussi au niveau mondial.
Je localisais Michel dans son nouveau studio situé dans le nord de la France. Je ne me souviens plus jusqu’à quel stade allèrent nos discussions, mais quelques années plus tard, Michel me dit que j’avais eu raison de le contacter et je percevais une lueur de regret de ne pas avoir donné suite à cette proposition.

Le 26 aout je passais prendre Yannick chez lui, rue Charlot, pour aller au pot de rentrée chez East-West : toute l’équipe « promo » était présente et ce moment fut agréable. Au moment de nous séparer ce jour là Yannick me dit qu’il me faisait entièrement confiance, qu’il aimait ma façon de travailler et me regardant directement dans les yeux : "J’ai l’habitude me donner à fond et je réussi ce que je fais, tu peux compter sur moi!".

Deux jours plus tard je lui adressais un fax dans lequel je faisais état d’une conversation avec Bill Berger, à New York.


Un rendez-vous important

Avec le recul peut-etre n’était-ce pas si important ou le moment, mais j’apportais en ce début de collaboration une grande attention au développement de la carrière de Yannick à l’international. Ceci en raison de sa notoriété à l’étranger, même si celle-ci reposait sur son activité sportive : c’était déjà cela ! Et d’autre part en raison de mon expérience professionnelle qui me dirigeait naturellement dans cette direction.
Bill Berger était l’ancien directeur des ventes et marketing d’Island. Nous avions travaillé ensemble à New York. Devenu vice-président du label Elektra il était très lié à Sylvia Rhone, grande « patronne » de la musique au sein du groupe Time-Warner auquel le label East-West, qu’elle avait créé, appartenait.
Sylvia, personnalité reconnue, a régulièrement été désignée comme une des femmes noire-américaine les plus influentes du monde des affaires aux Etats-Unis, la première à gravir tous les échelons d’une industrie assez sexiste et réservant ses meilleurs postes à des hommes : l’industrie du disque.
Ne perdant pas de temps, je contactais immédiatement Bill ; nous nous étions très bien entendu et devenus amis. Cultivé, épicurien, grand spécialiste de Wagner mais dans la journée au service d’artistes comme Anthrax, Buckweat Zydeco, il m’avait fait profiter de son abonnement annuel au Carnegie Hall de New York : de Gilberto Gil au New York Philarmonic j’assistais pendant plusieurs saisons aux concerts des plus grands artistes.
Un déjeuner fut rapidement organisé : je me souviens que Yannick hésitait à s’y rendre n’en comprenant peut-être pas la portée, mais je n’avais aucun doute sur son intérêt. D’ailleurs immédiatement après celui-ci, échantillons et dossiers de presse furent demandés par le bureau de New York au bureau Parisien de East West.
Sylvia proposa de personnellement s’occuper de contacter des « key » people pour aider Yannick dans sa carrière américaine s’il le souhaitait. Bien entendu, « je »le souhaitais, et savais que cette proposition n’était pas paroles en l’air mais une réalité à saisir sans hésiter. Parmi ces contacts mentionnés par Sylvia Rhone : Wycliff Jean et les Fugees, le groupe de l’année !



Mes e-mails et coup de fils à Yannick et Bill pour organiser ce déjeuner était rentabilisés à 1000% : j’étais un manager heureux !


Notre premier concert

Madame Anne Cassel de la société Cecile Promotion, avait contacté Yannick par l’intermédiaire d’IMG, la société qui gérait ses droits sportifs. La chaine MCM ouvrait un lieu de concert qui allait s’appeler assez logiquement le MCM CAFE et Anne Cassel avait suggéré Noah pour assurer la partie concert de cette ouverture le 17 septembre 1998.
Elle savait que Yannick et son groupe assureraient une bonne ambiance musicale et que sa notoriété attirerait l’attention sur cet événement.
Catherine Malecki, secrétaire de Yannick qui centralise tous messages et propositions lui étant destinés, informa Anna Cassel que » le groupe avait pris un manager » qui se chargera du bon déroulement de ce projet.
Je pris contact avec Hervé Lemaire chez MCM pour assurer le suivi contractuel et organisait plusieurs rendez vous sur place pour étudier l’aspect technique et logistique du concert.
J’insistais auprès de MCM pour que ne soit pas mentionné la carrière sportive de Yannick Noah mais de ne communiquer que sur son activité musicale et principalement la sortie du nouvel album.
Ce n’était pas évident mais cette demande fut respectée et je pensais ainsi avoir réussi une première avancée : ne parler que de musique dans la communication concernant Yannick Noah, chanteur.



Le concert se déroula parfaitement et je demandais à MCM une copie filmée.
Bien évidemment à ce moment le répertoire était à l’image de l’album Zam Zam, disparate avec un trop grande nombre de reprises rock ou reggae, mais l’objectif était atteint : passer un bon moment. Tout le monde était ravi de la soirée, le public, MCM, Anna Cassel, Yannick, le groupe et moi.
Malgré mes réserves sur le continu musical du moment, je sentais que tout était possible, musicalement, humainement. Je me sentais bien avec eux, en confiance et ne me souciais que de l’avenir. J’avais oublié que nous n’avions pas encore signé le contrat, et déployais touts mes forces, mon énergie, mes contacts car l’aventure ne faisait que commencer et je ne doutais pas un moment de son issue: ça allait marcher, j’en étais certain !

Pendant le mois de Septembre j’enchainais les rendez-vous avec l’équipe East West pour préparer la tournée FNAC et la sortie de Madingwa.
A ce sujet j’appris qu’une œuvre originale « Oucoudoumbelle » existait déjà, écrite par Marie-Line Marolany, choriste du groupe en 1996, et donc que Zam Zam, adaptateur de la version française, ne pouvait bénéficier que de 10% des droits d’auteurs. Dont acte lors de la déposition du titre à la SACEM.

Je ne m’inquiétais pas de cette situation assez fréquente lors d’adaptations ou traductions d’œuvre originale mais il est certain que je souhaitais que tout soit clair pour ne pas avoir de difficultés à la sortie du single et surtout au moment du succès que j’envisageais pour celui-ci ; il valait mieux tout clarifier avant, plutôt qu’après! Ce fut fait avec l'aide des explications de Philippe, clavier du groupe Zam Zam, à l'origine de la nouvelle version, intitulée "Madingwa".


La tournée promotionnelle qui n’eut jamais lieu

Le mercredi 15 septembre se tint dans les bureaux de East-West une réunion pour préparer la tournée promotionnelle FNAC et des clubs et à cette occasion je présentais Jean Gemin à Christophe De Belleguy, Olivier Bas et Aymeric Beguin.

Je confirmais préférer, à une « pub télé » pour relancer l’album et bénéficier du même budget pour effectuer cette tournée. Je revenais sur l’importance de présenter Yannick en situation de concert avec son groupe, pour le crédibiliser comme chanteur et artiste de scène. Le choix de la FNAC, distributeur culturel, n’était pas du au hasard mais au contraire s’accordait complètement à cette stratégie : s'éloigner de Saga Africa, lentement mais surement.

L’accord nous fut donné lors de cette réunion et Jean se mis aussitôt au travail. Nous savions que le budget d’environ 80,000 francs ne nous amènerait pas très loin mais étions fermement décidés à le compléter si nécessaire. Ni Jean ni moi-même au cours de nos carrières n’hésitions à mettre la main à la poche pour permettre à un projet de se réaliser. Je comptais également sur le groupe Zam Zam pour ne pas handicaper cette opportunité en demandant de trop lourds cachets ou de séjourner dans des hôtels «3 étoiles ». Ce qu’ils firent spontanément.

Jean qui rencontra Yannick et le groupe pendant les répétitions du concert au MCM Café ne ménagea pas ses efforts comme je l’avais anticipé. Il fit jouer ses contacts pour organiser en peu de temps la tournée prévue pour le mois de novembre, c'est-à-dire dans un délai de deux mois. Sa stature et le fait qu’il travaillait parallèlement aux futurs concerts d’AC/DC en France ouvrait toutes les portes. Non seulement les shows cases Fnac se précisaient mais également les passages dans les clubs grâce à la contribution des promoteurs locaux se matérialisaient de jour en jour. Jean avait du certainement faire usage d’arguments très persuasifs car organiser un concert de Yannick Noah à l’époque était un exercice périlleux, risqué financièrement pour tout promoteur local ne bénéficiant pas d'un budget d’une municipalité ou d’une association pour animer une fete locale en faisant venir la « star  du tennis qui faisait egalement de « la musique et son orchestre »

Mais nous étions animés par la sensation de partir de zéro pour conquérir le monde, ou plus modestement la France dans un premier temps, ce qui etait très excitant.


Une conséquence du concert pour MCM fut que nous pouvions immédiatement disposer d’un clip pour Madingwa en utilisant les images tournées pendant le concert du 17 septembre. MCM nous offrit même gracieusement les heures de montage pour sa réalisation.

De plus nous négociâmes avec la chaine sa diffusion ainsi que celle de 3 à 4 spots publicitaires quotidiens annonçant les dates de la tournée. Les FNAC de leur coté avaient donné leur accord pour diffuser le clip pour annoncer le show case dans le réseau interne de leurs magasins.

La tournée commença à se préciser vers la mi-octobre et l’itinéraire se dessina nous permettant d’envisager de nous produire dans six à huit grandes villes françaises en se terminant à Genève
Je fis parvenir un fax à East-West comportant les détails des dates à venir et demanda que l’on m’envoie la bon de commande signé représentant son engagement financier pour cette tournée promotionnelle soit un montant de 86,600 francs.
Pour cet investissement, nous allions nous produire dans les magasins Fnac, jouer en concert le soir, rencontrer les medias locaux, disposer de 80 spots publicitaires sur MCM et disposer gratuitement du clip du video-clip de Madingwa.















                           Et pourtant la tournée ne se fit pas.

















La maison de disque déclina le projet en proposant que les 86,600 francs soient alloués « à une utilisation plus rationnelle (c'est-à-dire une pub télé), afin de poursuivre le travail déjà effectué (l’envoi d’un titre aux radios).

Parmi les raisons assez ridicules avancées par East-West pour justifier l’abandon du soutien à la tournée, une me fit sourire : le nom de Yannick Noah était trop mis en avant; c’est précisément ce qu’il me demandait depuis le début de notre collaboration et bien entendu avec mon complet accord. A cette époque Noah avait déclaré que « le succès, c’est pas bon » et qu’il souhaitait que son nom n’apparaisse nulle part, tel un simple musicien. Je savais que ce n’étais pas possible et m’étais donné pour mission de positionner petit à petit son nom sur les disques, la communication aux medias, les affiches qui se transformèrent de « Zam Zam » à « Yannick Noah & Zam Zam ».
Après tout, Yannick m’avait dit les yeux dans les yeux : « je te fais confiance » et bardé de cette carte blanche, j’étais certain qu’il comprendrait, avec le temps, toutes mes initiatives.

Que de chemin parcouru pour cette communication minimaliste plus de dix ans après, de la publicité pour sous vetements à l’exclusivité d’articles et photos de la famille en vacances pour le magazine Gala.
Le nom Zam Zam quand à lui n’existe plus depuis bien longtemps ou n’est connu que de quelques uns. D’ailleurs il ne figure sur aucun contrat liant Yannick Noah à sa maison de disques ou à son agence de concerts, ni sur aucune affiche, et quand il est présent sur les crédits des disques et dvd, c’est en petit qu'apparaissent les noms des musiciens rescapés du groupe original : le batteur Hervé et le bassiste François.

La décision la plus importante

Je savais donc qu’il ne fallait plus rien attendre de East-West sauf un travail mécanique qui ne donnerait aucun résultat.

Bien qu’elle réitéra son engagement à long terme dans son courrier du 30 Octobre j’informais immédiatement Yannick de la situation dans un fax daté du même jour : « il est préférable d’envisager de travailler avec une nouvelle compagnie qui saura insuffler un souffle nouveau à notre projet».

La décision de quitter East-West reste à mes yeux la plus importante de la carrière musicale de Yannick Noah telle que nous la connaissons: elle permit de l'entourer d'une nouvelle équipe de producteurs et compositeurs, qui effectivement lui insufflèrent le souffle nouveau que je préconisais ce 30 octobre 1998 et créa les bases de son succès aujourd'hui.

Immédiatement je me mis en quête de cette maison de disques capable d'imposer la carrière discographique et scénique de Yannick dont j'avais le pressentiment.
Comme le diront plus tard Robert Goldman, frère de Jean-Jacques, son futur producteur et Olivier Montfort, Président de Sony Music, sa maison de disques, une carrière que "j'avais vue avant tous".

Mais cela ne se passa pas aussi simplement, ou si rapidement!

Fin d'année 1998

Je profitais de cette fin d’année 1998 pour me recentrer, réfléchir à ce qui allait etre notre avenir : quelle nouvelle maison de disques, quel nouvel organisateur de concerts, quelle direction musicale à développer et à imposer. J’etais ainsi devant la page blanche, stylo à la main et un scenario à écrire.
Une certaine activité cependant continuait : Catherine Adet, l'assistante de Yannick me fit parvenir quelques demandes, assez rares, de concerts pour me charger de la rédaction des contrats et de leur organisation.

A la demande de deux des musiciens du groupe, François Guibbaud et Philippe Balatier, respectivement bassiste et claviers, je les aidais dans leurs négociations avec une société de production, Etoile TV. Ils venaient de composer et réaliser la musique du générique d’un jeu télévisuel : Watafon. Je m’impliquais dans ces négociations et ainsi permis aux deux musiciens de percevoir, ce qu’ils admirent etre un très bon cachet ainsi que des revenus sur les droits de diffusion.


Je fis egalement connaissance de Marie-Claire Noah, la mère de Yannick, qui s’occupait de l’association « Les Enfants de la Terre ». Je la rencontrais le 18 décembre dans son bureau de situé dans la banlieue ouest de Paris. Il faisait froid ce matin là et me déplaçant en scooter je me souviens que Plaisir me semblait aussi éloigné de Paris que la pointe extrême de la Bretagne.
Le bureau des « Enfants de la Terre » était installé au rez-de-chaussée d’un immeuble moderne comme ils existent dans les zones urbaines, totalement dénué de caractère; au fond d’un long couloir, en face de l’entrée, celui-ci était purement fonctionnel et de l’endroit n’émanait aucune chaleur particulière; peut-être inconsciemment m’attendais-je à voir des dessins d’enfants, des photos aux murs, mais rien de tout cela. D’ailleurs c’est une impression que je n’allais pas manquer de ressentir lors des quelques actions qui me rapprochèrent de l’association : ou sont les enfants? qui sont-ils ?

Yannick ne parlait pas des « Enfants de la Terre », sauf à l’occasion des spectacles « Tennis Concerts », mi-exhibition de tennis, mi-concert. Ce n’était pas le cas de son autre association « Fêtes le Mur » dans laquelle je le sentais très investi.
D’ailleurs je percevais l’une comme étant l’association de Yannick et l’autre, celle de sa mère.

Marie-Claire Noah évoqua avec moi le prochain événement prévu le 22 mai 1999 et me fit part de son souci à trouver un partenaire télévision pour cette occasion. Nous suggérâmes egalement le choix de quelques noms d’artistes pour leurs éventuelles participations au spectacle ; le nom d’I AM fut avancé par une collaboratrice présente et j’avançais celui du groupe I MUVRINI que je connaissais bien et avec lequel j’etais en contact. J’avais proposé cet artiste connaissant l’intérêt de Noah pour la Corse ou il passait souvent ces vacances d’été à bord de son voilier, le long des cotes de l’Ile de Beauté. Une raison plus pertinente étant que je pensais trouver les mêmes qualités chez Jean-François Bernardini, le charismatique chanteur d’I Muvrini et chez Yannick : une grandeur d’âme, une élégance naturelle et le destin des conquérants.
J’appelais Jean-François qui me donna sans hésiter son accord de principe, si la date du 22 mai n’etait pas déjà prise par une tournée ; je contactais Laurence Touitou, directrice de Delabel, label d’I AM. Je n’eus pas l’impression qu’elle exprima un grand d’intérêt pour cette demande, mais néanmoins elle me demanda de la confirmer par télécopie, ce que je fis juste avant les vacances de Noel.

Ainsi se termina l’année 1998 : absorbé par la stratégie à long terme tout en gérant le quotidien, négociant accessoirement des contrats pour ses musiciens, et imparti d’une responsabilité dans l’organisation du prochain spectacle des « Enfants de la Terre ».

Tout était enthousiasmant pour moi, épris d’action, de rencontres, avide de projets et guidé par le désir d’etre le meilleur à les réaliser. N’avais je pas agi ainsi toute ma vie: bien faire, avec passion, intégrité, persévérance, préférant le savoir-faire au faire-savoir, me satisfaisant d’un vieil adage : tu réussiras grâce à la qualité de ton travail.
Me donnant à fond, je n’avais aucun doute : le succès ne viendrais pas à nous, nous irions le chercher, pas à pas, étapes par étapes, rencontres après rencontres, et celui-ci serait au rendez vous.

Je ne pensais plus au contrat à signer entre Yannick et moi, mais pourquoi me serais-je inquiété?

Début 1999

Lors de notre rendez vous avec Marie-Claire Noah dans les locaux des Enfants de la Terre en décembre nous convînmes d’un nouveau début Janvier.

Il y avait assez peu de temps avant l’organisation du prochain spectacle au Zénith et pas une minute à perdre, l’objectif étant de trouver une chaine de télévision partenaire de l’événement et de discuter d’un plateau artistes qui serait attractif pour celle-ci.
Dès le mardi 5 janvier nous nous réunirent dans mon appartement à Paris ; étaient présents Marie Claire et deux collaboratrices, Hervé le batteur du groupe Zam Zam.

Marie-Claire exprima le souhait que je m’occupe de la partie du spectacle concernant les partenariats et les négociations avec les artistes qui figureraient au prochain spectacle. Le choix de ceux-ci étant reparti entre tous, suivant nos affinités et nos contacts respectifs. Bien entendu il serait soumis à l’approbation de Yannick. Le projet ainsi que son équipe était très sympathique; d’un point de vue stratégique, il me permettait egalement d’etre en contact avec des medias influents qui pourraient, de façon annexe, conforter par leur intérêt dans un projet avec Noah, mes futures négociations avec une nouvelle maison de disques.
Nous nous séparâmes avec l’assurance que je me mettrais au travail immédiatement. Ce que je fis.

Mon premier coup de téléphone fut adressé à un ami de longue date, Jacques Metges, l’un des attaché de presse independant les plus connus et influents sur la place de Paris. Bien que connaissant les medias assez bien je savais que le cœur décisionnaire de ceux ci est un monde extrêmement isolé, replié sur lui-même. Pour le pénétrer, rapidement, j’avais besoin d’un expert ou de sa recommandation.
Je prix un café avec Jacques qui habitait à quelques centaines de mètres de chez moi, dans le quartier de la Muette.
Nous passâmes en revue les quelques possibilités à une époque ou n’existait pas encore toutes les chaines câblées. Cela se résumait ainsi à TF1, France2, France 3, M6.

Jacques en connaisseur me conseilla immédiatement TF1 et principalement la société GLEM qui produisait une grande majorité de ses programmes.

Je contactais de sa part Sophie Benoit, lui faisant parvenir un dossier de presse des Enfants de la Terre et nous convînmes d’un rendez vous téléphonique pour le lundi 18 qui fut reporté au mercredi 20.

J’envoyais egalement un fax à Nagui à sa société Air ; je l’avais croisé très rapidement alors que j’etais Président d’Island France et je savais que c’était un vrai passionné de musique, de toutes les musiques, comme il en existe très peu à ce niveau décisionnaire. Il restait egalement un des seuls à se battre pour une programmation eclectique sur les chaines de télévision ; et cela encore aujourd’hui. Il ne se rappelle certainement pas de moi, mais merci Nagui pour cet amour sans relâche pour la musique.

Parallèlement à mon activité de manager de Yannick Noah, je poursuivais celle de consultant pour un label independant installé à Miami Beach : Heat Music. Celui ci avait été créé par un homme d’affaires excentrique originaire de Caroline du Sud qui devait trouver la vie à Miami et ses environs beaucoup plus excitante que celle de Charleston. J’imagine que sa vie familiale était très éloignée de son esprit lors de ses visites au label et les inévitables sorties dans les nombreux clubs de Ocean Dive ou Collins Avenue.

Mes fréquents déplacements du début de l’année 1999 ne ralentissaient en aucune façon mon activité de management, que je conduisais par fax, e-mail et téléphone depuis Miami.
Je n’hésitais pas à rester éveillé très tard pour un rendez vous téléphonique à tenir à dix heures du matin, heure de Paris.

Les locaux de Heat Music étaient situés dans un très bel immeuble art-déco de la pointe extrême de South Beach. Le bâtiment construit en forme de cornet de glace de couleur verte était repérable de loin, l’intérieur ressemblant à un décor de Mad-Max, tout en béton et métal. Nous avons d’ailleurs tourné quelques vidéo-clips dans l’escalier cylindrique de l’immeuble ainsi que sur la terrasse avec vue panoramique sur South Beach, l’océan Atlantique et de l’autre coté de la baie, la ville de Miami.

Au rez-de-chaussée la compagnie disposait d’un studio d’enregistrement qui semblait à la disposition permanente et presque exclusive de deux jeunes producteurs débutants, Cool er Dré qui ne voyaient jamais ni le soleil de la journée ni les néons de Miami Beach la nuit. Nous recevions egalement de temps en temps la visite de Third World, Inner Circle qui n’habitaient pas très loin.

Quelques artistes faisaient partie de l’écurie Heat-Music, mais un, en particulier, se détachait incontestablement des autres par son talent, sa personnalité : Sly Kat.

Interlude : Sly Kat

Je n’avais jamais osé lui posé trop de questions mais je connaissais la violence de son enfance, si lointaine bien qu’il n’avait pas encore vingt ans. De Tiwan, son vrai nom, émanait une force gigantesque alliée à la fragilité, l’innocence de l’enfant qui découvre le monde de ses grands yeux ouverts.
Je me suis toujours posé la question pourquoi la Déclaration des Droits de l’Homme commence par une contre vérité : « les hommes naissent tous égaux entre eux ». Ce n’était certainement pas le cas de Tiwan, né dans le quartier de Liberty City de Miami, fils d’un père proxénète et d’une adolescente, abandonnée avec pour vivre un seul billet de vingt dollars.
Comment s’en sortir entouré de la plus grande pauvreté, des gangs, de la drogue, des armes, de la violence permanente de Liberty City.

De cette réalité mais aussi de quel imaginaire Tiwan puisait il ses textes pleins de fougues, audacieux, avec une autorité me faisant penser à « The Message » de Grand MasterFlash, qui reste pour moi le texte fondateur de la musique Rap, accompagnés d’un lyrisme digne des chansons de Bob Dylan.

Comment avait’ il préservé ou plus exactement développer une telle élégance, ce sens de l’humour, cette gentillesse, une douceur que reflétait les traits très fins de son visage comme si il descendait d’une quelconque aristocratie anglaise, lui un « nigga » comme il se définissait?

Et moi qui espérait tant et voulait tant pour Sly Kat, je me rendis compte, plus tard, que je ne lui ai pas rendu un service en voulant etre absolument « professionnellement correcte ! »:
Il avait enregistré un titre incorporant un sample, ou échantillonnage, du refrain d’une très célèbre chanson rock américaine « Eye of the Tiger ». Sa version était absolument sensationnelle et déjà quelques stations et des clubs du sud-est des Etats-Unis, de Miami à Atlanta, jouaient le vinyle sans label que nous leur avions fait parvenir.
Mais maintenant il s’agissait de sortir le disque officiellement et pour cela j’exigeais de le faire avec toutes les autorisations nécessaires, celles du propriétaire de l’enregistrement, et en premier celle de l’éditeur, Famous Music.
Nous devions aller vite car tout nous indiquait que le titre allait avoir du succès et j’avais déjà pris contact avec Davitt Sittgerson du bureau d’Island à New York à qui je fis parvenir une copie de l’enregistrement.

Chez Famous Music, je connaissais bien son President, Irwin Robinson. Il me promit de faire tout son possible auprès des auteurs mais d’entrée il ne fut pas encourageant. Effectivement, sans jamais avoir reçu d’explication, Irwin m’informa qu’un des deux auteurs s’opposait absolument à l’utilisation de la version originale et que, clairement, rien ne le ferait jamais changer d’avis.
Alors se déclencha une course éperdue pour enregistrer une version sans échantillonnage et nous passèrent des heures à essayer de reproduire l’intensité, l’âme de la version originale, mais rien n’y fit. Nous avions même fait appel à Joe Galdo, producteur légendaire de Miami Sound Machine à qui je pensais egalement pour la réalisation du prochain album de Yannick Noah.

Finalement de nombreuses années, après je pense que comme tous m’y encourageait, j’aurais peut etre du accepter de sortir la version non officielle, disons tout bonnement une version illégale, et laisser faire ; c’est exactement ce qu’avait fait les autres artistes de rap, de hip-hop : devenir célèbre et payer ensuite. Une fois riches, ils réglaient ainsi, à posteriori, les ayants-droits.
Sly Kat enregistra un merveilleux album : « Nine Lives and Six Samples » : neuf pour toutes les différentes vies qu’il avait déjà vécues et six, car nous avions limité à ce chiffre leurs utilisations, tout le reste étant enregistré avec de vrais musiciens, fait assez rare à la fin des années 1990 dans la musique rap. Mais le sample d’ « Eye of the Tiger » qui l’avait fait connaître localement et qui nous sentions nous conduire irrésistiblement vers le succès, ne figura pas sur cet album.

A mon retour en France je perdis de vue Sly Kat ; parcourant l’internet je découvris qu’il s’était installé à San Antonio au Texas ; sur un site web d’une station locale il y avait même un photo qui semblait assez récente ; Je ne l’aurais pas reconnu tant ses traits étaient tirés, le regard vide, lui souple et félin comme un chat (sly kat) semblait fatigué, alourdi. Que j’aimerais remonter le temps et déambuler dans les rues de South Beach à la recherche d’un endroit pour déguster un verre de bon vin, que tu appréciais presque en connaisseur averti, et nous projeter dans de futures tournées, enregistrements. Un passant nous regardant à ce moment là aurait peut-être remarqué les étoiles dans nos regards exprimant cette immense espoir et confiance en notre avenir.

Quand à Marcello (Cool) et André (Dré), les deux jeunes producteurs, partis de moins loin que Sly Kat, je retrouve leurs noms sur les albums de Lil’ Wayne, Busta Rhymes, Queen Latifah…


La rupture du contrat East-West

Une fois la décision prise de quitter East West et après en avoir informé Yannick dans le courrier du 30 octobre 1998, je m’organisais pour que celle-ci soit appliquée.
J’obtins un rendez vous avec Michael Wijnen, le president du label le 30 novembre pour lui faire part de notre intention.

J’expliquais à Michael mon point de vue : je ne partageais pas la meme vision du développement de la carrière de Noah, l’annulation de la tournée promotionnelle Fnac et clubs au profit d’un projet de pub TV en étant un exemple significatif.
Malgré le souhait exprimé par l’équipe Est-West de continuer, je ne pensais pas cela possible, car ni moi, le manager, ni Noah, l’artiste, n’étaient en harmonie avec l’action de leur maison de disques.

Lors de cette entrevue, la décision de ne plus continuer ensemble fut prise en fonction de ma détermination.
Quelles solutions pour East-West ? Continuer leurs investissements promotionnels et marketing, réaliser de nouveaux vidéos clips. Au bout du compte des engagements financiers importants : mais était ce possible sans deux éléments absolument indispensables à la future stratégie : un artiste qui refuse de faire la promotion de son album, comme me le dit Michael Wijnen à ce moment là, « tu n’arriveras jamais à le faire changer d’avis « , et le manager de l’artiste qui lui-même dit qu’il n’adhérait pas et ne corroborait pas aux propositions de la maison de disques.
Il est clair que si j’avais affirmé à Michael mon intention de travailler et m’adapter aux méthodes du label nous aurions poursuivit notre collaboration. Mais ma décision était arrêtée : je ne voulais pas continuer.
Nous décidâmes ensemble qu’il n’y avait pas d’issue et qu’effectivement il valait mieux se séparer.

Le ton de notre entrevue ne fut ni heurté ni antagoniste, mais une conversation à bâtons rompus entre deux professionnels faisant un constat réaliste et prirent ensemble les décisions qui s’imposaient, pour le bien des parties concernées.
Certainement Michael regrettait de n’avoir pas fait de Yannick Noah un chanteur reconnu; Lui aussi avait décelé ses qualités artistiques, sinon pourquoi aurait il signer un contrat d’artiste avec Noah en 1997. A sa décharge peut etre n’était ce pas encore le moment, Noah etais très investi dans ces activités sportives, tournois « seniors », capitaine de l’équipe de France de tennis féminine, ses précédents albums comme Black & What, Urban Tribu étaient des échecs retentissants malgré leurs promotions et il était devenu très prudent quand à la mise en avant de sa carrière musicale. Pour le moment il se contentait de « faire de la musique avec ses potes »
Et il manquait à Michael cet interlocuteur essentiel qu’est le manager, initiant et assurant l’articulation de la stratégie, le « go-between » entre toutes les parties, la courroie de transmission qui assure que les individualités et tous les mécanismes s’assemblent pour la bonne exécution de l’action commune.

Par contre j’appris plus tard que certain dans son équipe avaient sans doute été soulagés de ne plus avoir à s’occuper de celui dont ils se moquaient en interne comme « le tennisman qui voulait se mettre à chanter » et juste bon a faire la fête avec ses musiciens après un tournoi d’exhibitions de « Seniors ».

En nous séparant ce jour là Michael me demanda de prendre contact avec Madame Anne Hindermeyer, dans son service juridique pour étudier les modalités de la rupture du contrat.

Suite à quelques échanges téléphoniques Anne me fit parvenir le 13 janvier 1999 un avenant au contrat d’exclusivité signé en 1997.

Lors de nos discussions nous abordâmes le moyen d’arrêter la collaboration d’une façon juridique et élégante à la fois. Il ne s’agissait pas pour la maison de disque de donner l’impression qu’elle renvoyait son artiste et ce déjuger ainsi d’un contrat récemment signé. La lecture du document original offrit la solution adaptée à notre situation.
La clause 4.5 stipulait que l’option d’enregistrement d’un 2e album serait levée de plein droit dans l’hypothèse ou les ventes en France du 1er album Studio auraient atteint 50.000 (cinquante mille) exemplaires au terme d’un delà de 11 (onze) mois suivant sa sortir commerciale.
Si nous étions encore loin du délai de onze mois, puisque seulement cinq s’étaient écoulés depuis la sortie commerciale de l’album lors de ce rendez-vous du 30 novembre, nous décidâmes d’utiliser cette clause par anticipation.

Connaissant l’importance que pouvait prendre plus tard , particulièrement en cas de succès, le catalogue d’un artiste, je demandais egalement a récupérer au profit de Yannick Noah et son groupe Zam Zam les droits d’exploitation de leur album ; indéfectiblement optimiste sur l’avenir, je ne souhaitais pas qu’au moment du succès avec notre prochaine maison de disques, East West puisse de nouveau proposer sur le marché celui dont il possédait encore les droits.
Il y avait à cela deux raisons: éviter de créer une certaine confusion chez les disquaires et le public quand à l’album à acheter, et l’album Zam Zam ne possédait pas une qualité artistique nécessitant absolument sa publication. Il était meme préférable de l’oublier un certain temps !

J’allais encore plus loin dans ma démarche et demandait à récupérer à titre gracieux tous les albums fabriqués et en stock chez East West. Assez étonnement cette requête fur acceptée sans difficultés. Je ne sais pas ce que devint ce stock ensuite mais ma dernière information fut qu’Hervé, le batteur, devait le récupérer et le conserver dans son garage. Peut etre y est il toujours aujourd’hui car je n’entendis plus jamais parler de l’opus intitulé Zam Zam contenant les créations musicales comme Les Frites, Yé Yé, Yé, qui ne marquèrent ni l’histoire de la musique de variété, ni la carrière de Yannick Noah.

L’avenant fut signé rapidement : nous étions définitivement libres et pouvions ainsi démarcher ouvertement de nouvelles maisons de disques.

A Miami, janvier 1999

De Miami, ou je passais la plus grande partie du mois de janvier, je menais de front deux activités, le label Heat Music, la carrière de Yannick Noah, en y ajoutant en quelque sorte une troisième, ou plus exactement une deuxième et demi, le suivit du spectacle « Les Enfants de la Terre » du mois de mai.
Ces cinq milles kilomètres de distance et l’extravagance de South Beach ne m’empêchait pas d’etre totalement concentré sur la double tache à accomplir pour Yannick : trouver une nouvelle maison de disques et un nouveau producteur de concerts. Pour cette deuxième tache, il était évident que je ne serais pas assailli de propositions. Le potentiel de Yannick et son groupe était quasi nul hormis les spectacles liés à un contexte sportif. Je décidais de prendre les choses en mains : après tout, si il le fallait, dans un premier temps je trouverais les concerts moi-même ; je l’avais déjà fait, je pouvais donc le refaire. Ceci en attendant de trouver le tourneur courageux qui s’associerait a ma vision de Noah artiste complet.
Pour cela il me fallait un premier outil : présenter des extraits de concerts récents de Yannick Noah et son groupe. Je repris contact avec MCM et leur fit la demande d’une copie au format professionnel du concert au MCM Café le 17 septembre passé. Je leur confirmais par écrit que nous souhaitions réaliser un montage audio-visuel, uniquement destiné aux promoteurs de concerts.
Dans un deuxième temps je pensais déjà à une brochure de présentation et à la future affiche ! Tout ceci au milieu des rappeurs de Heat Music, des Hells Angels de Miami que nous avions conviés pour la réalisation dans notre studio d’un vidéo clip de notre artiste maison Sly Kat.

Un nouvel album à préparer, déjà !

Concernant un nouvel album, j’avais longuement réfléchi à la situation : Yannick Noah n’avait aucune valeur commerciale pour une maison de disques. Le succès de « Saga Africa» remontait à environ une dizaine d’années et la suite de sa carrière « artistique » n’avait été qu’une succession d’échecs ; Qui aujourd’hui pouvait citer le titre d’un seul de ces albums : « Black and What », « Urban Tribu », et le tout dernier « Zam Zam ».

Comme je l’avais dit à Yannick lors de notre tout premier rendez-vous, au début de l’été 1998 dans son appartement Parisien de la rue Charlot, je n’etais pas un faiseur de hits, de « tubes » pour le hit-parade mais je pensais avoir une certaine expérience dans un développement de carrière sur un plus long terme, étape par etape, step by step.
Lorsque je mentionne « faiseur de hits » c’est avec une admiration illimitée pour ceux ou celles qui en l’espace de trois à quatre minutes créent une œuvre musicale qui pénètre l’histoire et l’imagination personnelle de chacun, qui s’installe dans nos mémoires individuelles et collectives pour toute une vie.
Que ne donnerais je pas pour revendiquer, meme de très loin, la création de tubes comme « Roxanne », « A Whiter Shade of Pale », »Foule Sentimentale », « A nos Actes Manqués », et tant d’autres qui sont autant de liens entre nous tous, inscrits dans notre tissu génétique, devenant partie de notre « nous-mêmes » « Saga Africa » étant de ceux-là, bien entendu.

Depuis ces quelques jours passés en répétition avec ses musiciens pour la préparation du concert au MCM Café, je m’etais forgé le sentiment qu’il était essentiel pour Yannick de se construire une identité artistique forte. Déjà j’avais conseillé au groupe, moins de reprises rock et plus de compositions originales à l’avenir. Le problème était que dans cette « bande des quatre », personne ne décidait, car tous voulaient etre chef, c'est-à-dire « directeur musical " de l’orchestre, et pour faire face à ce dilemme en avaient simplifié la solution : il n’y avait pas de directeur musical.
Pour résumer Zam Zam, imaginez dans une meme pièce, enfermés, chiens et chats : coups de griffes, mots d’oiseaux, interminablement et ceci à chacune de leur rencontre pour obligations professionnelles. Car ils ne se voyaient jamais en dehors, de façon sociale, amicale. Bien sur tout cela cessait quand le grand chef, Yannick, arrivait et alors comme par enchantement, « tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil ». Cette hypocrisie m’avait meurtri.

Du groupe se dégageait très nettement deux excellents musiciens, Philippe le clavier et Michel, guitariste. Des quatre de l’époque, Michel était certainement le plus attachant humainement et musicalement, la personnification du guitariste de rock.

D’une élégante minceur comme si manger était une distraction trop absorbante, un visage aux traits continuellement tirés comme si il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours, habillé de bric et de broc, un style naturel qui lui aurait permis, à mon avis, de défiler pour Galliano ou Alexander McQueen, les cheveux colorés aux grès des humeurs et un certain détachement aux problématiques de notre monde, à l’exception de sa passion pour le football.
Je suis absolument persuadé que Michel pouvait tout jouer, tango, valse, du folklore Balinaisien, avec sa guitare, qu’il ne quittait jamais. Bras attachés, il jouerait avec ses pieds, pied liés il jouerait avec ses dents, je pense meme qu’il joue en dormant.
Petit à petit nous avions appris à nous connaître et Michel fut certainement le musicien le plus impliqué à cette époque dans la composition de nouvelles chansons. Nous primes l’habitude d’échanger nos idées sur ce que nous pensions devait devenir la musique de Yannick et souvent nous nous retrouvâmes à écouter chez lui, ou dans sa voiture à la suite d’une réunion ou d’une répétition, la cassette d’un nouveau titre qu’il venait de composer.
Michel était très secret concernant sa vie privée, au contraire des autres musiciens dont je connaissais les familles comme eux connaissaient la mienne, mais je savais l’amour qu’il portait à sa fille et sentais sous son apparente désinvolture rock'n'roll, enfouie, une blessure ou un monde secret, qui me rapprochait de lui sans trop savoir pourquoi, mais dont nous n’ avons jamais parlé.

Il fut donc le seul musicien du groupe de Yannick à se mettre au travail et à proposer des titres pour ce qui deviendrait peut-être le prochain album, mais nous en étions encore très loin de savoir, comment, ou, avec qui. Donc, au début 1999, nous en étions là : Yannick, le tennisman qui chante, n’intéressait pas les maisons de disques, Michel travaillait, et j’affinais ma stratégie.
Il n’y avait aucun doute possible, pour relancer la carrière de Yannick il fallait bâtir un vrai projet artistique et non capitaliser sur un éventuel nouveau « Saga Africa ». D’ailleurs je ne savais pas faire.
Pendant ces quelques mois passés, depuis la tournée promotionnelle FNAC avortée sur décision de la maison de disques et notre départ de cette meme maison de disques, les trois grandes directions que j’allais poursuivre avaient pris formes. Et d’une certaine façon, pragmatique, elles étaient à portée de ma main.
A Miami, j’avais retrouvé l’un de mes grands amis et certainement le meilleur réalisateur de la ville : Joe Galdo.
J’avais rencontré Joe alors qu’il était batteur de Robert Palmer à l’occasion d’une tournée française en 1978, qui eut pour apogée un des premiers concerts d’un lieu devenu mythique par la suite : Le Palace, rue du faubourg Montmartre à Paris.
Joe, Cubain arrivé avec ses parents à Miami dans les années soixante était d’une simplicité, d’une humilité étonnante à une époque qui ne l’était pas.
Nous étions restés en relation et lorsque je m’installais pour la première fois aux Etats-Unis en 1980, il fut la première personne que je contactais. Nous ne sommes jamais quitté depuis et nous nous retrouvâmes sur de nombreux projets qu’il réalisa pour Island : Angelique Kidjo, Bandera, Salif Keita.
Interlude : Conga
C’était à New York un samedi matin pendant l’automne 1985. Joe m’appelait de chez lui à Miami : Jean-Pierre as-tu entendu un titre à la radio par un groupe qui s’appelle Miami Sound Machine : « Conga ». Non, je ne l’avais pas entendu car à l’époque j’écoutais WBLS, la célebre station de musique noire New Yorkaise qui allait marquer les années 1980.
Rends moi un service me demanda t’il, c’est un succès énorme ici et apparemment le disque commence à se vendre à New York à cause du bouche à oreilles rapportés par ceux qui reviennent de Miami. Regarde si il est possible de trouver le disque.
J’avais prévu de me rendre à Chinatown au sud de Manhattan et je promis à Joe de jeter un coup d’œil chez J&R, un magasin qui se trouvait à l’endroit ou Broadway et Park Row se rejoignent et Lower Downtown devient Wall Street. C’était l’un des grands magasins de disques de la ville avec un rayon dance-funk music bien alimenté par des acheteurs qui guettaient les moindres tendances dans les clubs comme Dancetaria et Peppermint Lounge situés à quelques rues plus au nord.
Mais pas de Conga ! Je regardais dans tous les rayons, nouveautés, dance, latin music, tropical, import,…rien.
Je sortis du magasin mais par acquis de conscience rebroussais chemin, m’arrêtais à la caisse et demandait au vendeur : connaissez vous le titre « Conga » par Miami Sound Machine ? Il me montra alors le devant du comptoir, du sol à la caisse enregistreuse ; le vide absolu.
Il me posa alors une question: « Que voyez-vous »? « Rien ! ». Et oui me dit il, ce matin il y en avait en pile plus de deux cents au meme endroit : tout est vendu et vous n’en trouverez plus un dans tout New York.
J’appelais immédiatement Joe de la cabine en face du magasin : c’est un « Hit » et un « Hit » encore plus gros que tu ne puisses l’imaginer !
« Conga » allait devenir une des plus grands succès internationaux des dernières années et surtout incarner la naissance de la musique Dance-Pop Latino.
Joe m’expliqua dans sa simplicité la plus naturelle qu’il avait joué de tous les instruments avec son complice Larry Dermer, à l’exception du solo de piano joué par son ami Paquito Hechevarria dans le style inimitable qu’est le tumbao, puissant mélange de merengue et de salsa.

Une première direction musicale

Avec Joe, j’entrevoyais pour Yannick, une direction musicale associant couleurs Latine et Africaine. Très peu de réalisateurs pouvaient à mon sens entreprendre une telle association avec succès, en évitant la carecaturisation musicale.
Joe avait réalisé à Paris le premier album de la chanteuse Béninoise Angelique Kidjo, ma première signature d’artiste lors de mon retour des Etats-Unis en France en 1989 pour mener à bien la destinée de la nouvelle société : Island France, dont j’avais été nommé President Directeur General.
Quels merveilleux souvenirs me ramènent aujourd’hui dans ce studio Davout, situé sur un boulevard de la petite ceinture Parisienne, ou fut enregistré le premier album d’Angelique : « Logozo », qui reste d’ailleurs pour moi le meilleur de sa discographie. Mais sincèrement je ne pense pas etre objectif sur le sujet, ou objectivement, ne pas du tout etre sincère, n’ayant eu l’occasion d’entendre ses disques les plus récents.
Joe, véritable alchimiste des sons avait su créé une union sans faille avec ces formidables musiciens Africains, Moussa Sissokho, Yves N’Djok, Manu Dibango, Ray Lema parmi d’autres, et son équipe, venue de Miami, Lester Mendez, Cesar Sogbe, Carlos Santos. Et en prime, Branford Marsalis, ami et admirateur d’Angelique venu de New York pour participer à l’enregistrement !
Joe et le Miami crew habitaient un petit appartement vers Pigalle mais je crois qu’il ne connurent de Paris que le trajet en taxi qui les amenaient tous les jours chez Davout : aller vers treize heure, retour vers cinq heures le lendemain matin. Ils travaillèrent sans relâche, nourris principalement de pates et biscuits pendant deux mois
A leur départ pour Miami, ils furent regrettés tant pour leur gentillesse, disponibilité, professionnalisme et leur totale abnégation dédiée à la réussite de cette production. Ils avaient conquis le cœur de tous. Encore aujourd’hui, quand je croise des intervenants de cette époque et lorsque le nom de Joe est évoqué, je ressens l’émotion transparaitre dans les voix et regards. Pendant ces quelques semaines ils nous avaient apporté cette amitié nonchalante dont nous avions peut etre tous besoin ici à Paris.

Associé à Chris Blackwell, Joe avait fondé le studio d’enregistrement le plus en vogue de Miami : South Beach Studios, situé comme son nom l’indique, dans le quartier en pleine effervescence de South Beach, à la pointe sud de Miami Beach. Je dois ajouter que c’est précisément de cet endroit, l’Hôtel Marlin, qui abritait le studio dans son sous-sol, que parti le mouvement architectural, artistique et social qui allait populariser South Beach dans le monde entier.
Le Marlin a été le premier des hôtels de style Art-déco a etre réhabilité par Chris, le premier d’une dizaine qui lui ont appartenu et précédèrent tous les autres qui font la renommée de South Beach aujourd’hui.
Quand au studio, ont pouvait y apercevoir U2, Prince, Beyoncé et beaucoup d’autres qui attendaient le privilège de pouvoir enregistrer ou mixer leurs derniers enregistrements.
D’ailleurs je pensais mettre à contribution ce meme studio pour Yannick Noah, ou bien utiliser notre propre studio Heat Music, à quelques rues de distance si South Beach Sudios n’était pas libre. Je savais que Joe se libérerait pour me donner un coup de main pour ce projet, comme pour tout autre si je lui demandais.
Sur son planning de l’année 1999, apparaissait un concert à Miami la date du 27 mars suivant, dans le cadre d’un tournoi de tennis. Je n’hésitais pas, si Yannick venait à Miami, et si le temps le permettait, autant en profiter, pour enregistrer, ce que nous appelons dans le langage professionnel, des maquettes. C'est-à-dire des projets de chansons, souvent réduites à une ligne mélodique, une mise en forme rythmique, une prise de voix rudimentaire. L’objectif étant l’enregistrement d’une ébauche de chanson pour en décider soit sa continuation soit son abandon car pas assez convaincante.
Nous pouvions commencer à cette occasion avec quelques ébauches des nouveaux titres de Michel Aymé, et je savais que Joe aurait certainement des idées de chansons une fois que je lui aurais fait connaître Yannick.
L’idée qui m’habitait, était avant tout d’organiser nos premiers pas ensemble dans un studio et surtout, avancer, avancer, ne pas attendre que le destin vienne à nous mais aller le chercher, le provoquer.
Ce projet d’enregistrement était à portée de mains ; bien que je ne l’ai pas encore discuté avec Yannick, j’avais formulé une première direction : Latino-Africaine.
Hélas Yannick ne participa pas au tournoi de tennis de Miami et, de fait, nous ne firent pas ensemble ces premiers enregistrements à South Beach.

Une deuxième direction musicale


Peut-être une phrase, un simple mot lors d’une conversation avec Yannick me fit penser à l’Afrique du Sud et sa musique.
Je savais ce que représentait pour lui le président Mandela qu’il avait rencontré et dont la photo figure en bonne place dans sa maison de Kribi, au bord de la mer, tout au sud du Cameroun, à quelques kilomètres de la frontière de la Guinée Equatoriale.
J’aimais moi-même beaucoup cette musique que j’avais découverte il y a très longtemps par l’intermédiaire d’un pianiste complètement déjanté et connu malheureusement de quelques initiés : Chris McGregor.
Son univers proche du jazz invitait déjà à la danse tant les arrangements polyrythmiques des cuivres, distribués en cascades jaillissantes de triple ou quadruple croches donnaient le vertige, si merveilleusement musicales et mélodiques, de longues improvisations, aventureuses nous emportant dans des expéditions sans destinations précises, le tout mené par une escouade dont le général était un piano, le commandant, une batterie et les soldats un contingent de percussions des plus hardis.

Depuis les années 70 de Chris McGregor, la musique sud africaine avait acquis une renommée internationale grâce à des artistes comme Miriam Makeba Hugh Masekela, Dollar Brand, Ladysmith Black Mambazo, et principalement grace à Paul Simon qui avec son disque « Graceland » avait largement contribué à la faire connaître dans le monde entier. Et bien sur il y avait Johnny Clegg et son groupe Juluka, devenus superstars en Europe dans les années 1980.
Une intuition me disait qu’il y avait là une voie à suivre, qui serait originale et qui je le savais serait séduisante pour Yannick.
Un de mes proches amis, Luc Gaurichon, avec sa société Caramba, était le producteur des concerts de Johnny Clegg en Europe. Je me promis de le contacter à mon prochain retour à Paris.

Une troisième direction musicale, mais pas seulement…

Etait ce véritablement une direction musicale ou simplement de la stratégie ? La situation etait précaire tant il etait difficile pour Yannick, chanteur, de se relever de ses précédents échecs discographiques. Sa dernière tentative, l’album Zam Zam pouvait lui être fatal, alors qu’il voulait réussir cette nouvelle carrière et qu’il m’avait mandaté pour cela ; comme il me l’avait dit lors de notre première rencontre chez lui à Paris: prépare-moi bien le terrain pour que je me donne à fond, et si c’est le cas, tu peux compter sur moi, je réussis toujours ce que j’entreprends.
Je savais que la patience, la persévérance des maisons de disques avait des limites et qu’au premier échec, elles laisseraient tomber tout nouveau projet pour se concentrer sur des projets à rentabilité immédiate. Le temps etait loin ou l’on se préoccupait moins de ses actionnaires que de carrières d’artistes à édifier, patiemment mais surement. Déjà les ventes des disques compact s’essoufflaient, sans nouveau support à l’horizon, et dans le confort de leurs tours d’ivoires, les « majors » ne voyaient pas s’installer une révolution silencieuse qui allait changer le monde et détruire leur modèle économique : Internet.

Pour nous imposer et inscrire notre projet dans la durée, nous avions besoin d’un joker, un point d’entrée incontournable, incontestable qui nous permettrait de traverser les différents écueils de la vie d’un disque.
J’avais rencontré Jean-Jacques Goldman au début des années quatre vingt dix par l’intermédiaire de son frère Robert.
A la fermeture mondiale des bureaux d’Island Records, suite à son rachat par la major Polygram, aujourd’hui Universal, j’avais été accueilli par Robert dans les bureaux de JRG, la société des deux frères. Il me fallait un lieu pour développer mon nouveau projet, Uno Mundo, un label qui allait accueillir des artistes aussi variés que Rosco Martinez, Claude Turner, et Poupa Claudio.
A l’image de la simplicité de Jean-Jacques ces bureaux de Montrouge étaient bien loin de ce que l’on pouvait attendre d’une vedette française si connue. Dans un bâtiment de briques semblables à ceux qui entourent la ceinture Parisienne, immeubles à usage sociaux construit entre les deux guerres, l’atmosphère faisait plutôt penser à une officine d’une administration quelconque, mais au service exclusif d’un artiste.
Là, s’organisaient les tournées, les préparatifs des enregistrements, l’édition des compositions, la comptabilité, en somme tout ce qui concernait la gestion d’une petite entreprise qui elle, c’est certain, ne connaissait pas la crise.
Jean-Jacques habitait dans la rue adjacente du bureau mais ne venait que très rarement : on allait à lui, et tout etait organisé pour lui faciliter sa vie d’artiste.
De temps en temps quelques réunions des Restos du Cœur venaient interrompre la routine de la vie quotidienne du bureau.

Je n’ai que de bons souvenirs de ces quelques années passées à Montrouge et de la petite équipe chaleureuse que je retrouvais chaque jour en particulier, Mimi et Anna. L’une s’occupant des déclarations des charges sociales des nombreux musiciens et participants aux tournées et enregistrements, l’autre de l’organisation du bureau.
Il y avait également Alexis, secrétaire particulier de Jean-Jacques, ou plus exactement son assistant comme il etait le habituellement présenté à l’extérieur. Le mot de secrétaire n’étant plus très « professionnellement correcte ».
C’etait là toute l’équipe, trois personnes, qui entouraient Jean-Jacques Goldman, tout au moins au sein de son bureau, qui pendant ses années régnait sur le monde de la musique en France.

Robert s’occupait des affaires de Jean-Jacques et negociait tous ses contrats, que ce soit avec sa maison de disques, les producteurs de spectacles. Il etait perçu comme le plus redoutable des négociateurs et mythe ou réalité, aurait fait exploser « la baraque » quand il avait négocié un taux de royaltie avec la maison de disques de son frère de plus de trente pour cent. Je suis personnellement tout à fait disposer à le croire. Comme il me le dit un jour, je suis bien obligé d’être dur en affaires car Jean-Jacques est bien trop gentil. Et à l’époque tout le monde voulait Jean-Jacques, à n’importe quel prix.

Mais il y avait chez lui une très forte envie de devenir lui aussi un réalisateur et compositeur aussi accompli que son frère.
Il avait déjà fait ses premières armes avec l'acteur Christopher Thomson mais cela n’avait rien donné et il préparait à cette époque des chansons pour une jeune artiste Polonaise Iren Bo. Robert me demanda quelques conseils sur comment développer la carrière de sa protégée et c’est également à cette époque que je fis connaissance de Erik Benzi, véritable alter ego de Jean-Jacques, l’arrangeur, le producteur indispensable à ses compositions.
A la demande de Robert j’étais allé voir Erik dans son studio de la banlieue sud et nous écoutâmes ensemble les maquettes d’Iren. Il n’eut pas besoin de m’expliquer ce qu’il en pensait et très diplomatiquement me fit comprendre qu’il n’avait pas de temps, même pour un projet pour Robert. J’étais d’accord et il me restait à l’annoncer à Robert.
Très rapidement je n’entendis plus jamais parlé d’Iren Bo.

Quelques mois plus tard Jean-Jacques fit à Robert un cadeau, selon ses propres mots, j'ajouterai, inestimable: il lui offrit d’intégrer deux de ses compositions sur l’album de Céline Dion : « D’eux ». Robert signa ces titres, comme d’ailleurs toutes ses futures compositions, sous le nom de Kapler.
L’album fut l’un des grands succès du milieu des années quatre vingt dix et la carrière de Robert, compositeur fut lancée. Un peu plus tard il m’annonça son futur projet, écrire et produire un artiste qu’il appréciait énormément : Roch Voisine.

Le 27 janvier, toujours à Miami, j’appelais Robert Goldman, dans le but d’organiser une rencontre Yannick Noah-Jean-Jacques Goldman, avec pour sujet de discussion le futur album de Yannick produit par…. Jean-Jacques.

Robert, avait rencontré quelques années auparavant Yannick lors d’un passage à un spectacle des Restos du Cœur. Il m’écouta avec intérêt et lors de cette conversation me précisa que Jean-Jacques ne serait certainement pas disponible pour réaliser un album entier, mais pourquoi pas quelques titres. Cela me convenait parfaitement.
Cependant faire coïncider l’emploi du temps de Jean-Jacques, avec celui de Yannick pour organiser leur rencontre n’était pas simple. Nous arrêtâmes la période entre le 8 mars et le 5 avril 1999 pour tenter celle-ci.

Je communiquais cette information à Catherine Malecki, l’assistante de Yannick qui gérait son emploi du temps. Dans ce meme courrier je lui rappelais que si le tennis-concert de Miami prévu le 27 mars se confirmait, je disposerais d’un studio pour l’enregistrement des maquettes de nouveaux titres, principalement ceux de Michel Aymé. En préparation du futur album.

Catherine me répondit rapidement : Yannick serait à Londres entre le 8 et 21 mars et « pourra sans problème faire un AR à Paris pour rencontrer Jean-Jacques »
Dans ce meme courrier elle mentionna un concert organisé par la mairie de la ville de Sevran le 19 juin et me demanda si j’avais un projet en vue pour le lundi 21 juin, jour de la Fête de la Musique.
Joint à cette lettre figurait le planning de Yannick pour l’année 1999 ; la musique n’y avait que peu de place.

Je continuais à travailler sur la programmation du prochain spectacle des Enfants de la Terre et contactais plusieurs artistes dont « 123 Soleil », trio dans lequel figurait Faudel, Khaled et Rachid Taha ainsi que l’artiste Israélienne Noa. J’aimais l’image Noah /Noa, et les imaginais volontiers chanter un titre ensemble.


Des propositions en tout genre me parvenaient soit directement soit transmises par Catherine si elles concernaient la carrière artistique de Noah.
Certaines étaient louables, d’autres plus loufoques. Certes, Noah n’était pas reconnu comme artiste mais sa notoriété de star était immense. Beaucoup voulaient s’en approcher dans l’espoir d’en obtenir un avantage personnel ou bien simplement d’en capter un fragment de sa brillance.

Une parmi les loufoques me parvint de la société de communication et d’événements: Business Link, proposition dans laquelle les tout nouveaux champions du monde de football enregistreraient un cd single, je cite : « genre, We are the world » au profit des Enfants de la Terre. Une liste était meme avancée dans laquelle figuraient les noms des joueurs déjà en liste pour l’opération et pouvant participer au concert du 20 mai au Zénith, « si le calendrier de la coupe d’Europe le permettait » Pour confirmer le sérieux de l’opération l’on me procura le numéro de portable de Marcel Desailly, à appeler si Yannick était d’accord. Le distributeur de l’enregistrement, BMG, était meme annoncé alors que nous n’avions pas encore envisagé le projet.


Très sincèrement je ne savais pas trop ce que Yannick allait en penser mais il était évident que la présence de joueurs champions du monde au prochain spectacle des Enfants de la Terre ne pouvait qu’etre retentissante.
Ce projet fit long feu : j’en parlais avec lui et sa réponse fut rapide et pertinente : il ne « se voyait » pas chanter sur une scène avec tous ces joueurs qui ne se savaient probablement pas chanter, de toute façon. J’accueillis sa décision avec soulagement et un signe d’ encouragement certain : au prix de la réussite de sa carrière de chanteur il ne se commettrait pas au ridicule.

De Miami je m’organisais sur tous les fronts, signer le contrat et envoyer la fiche technique pour le concert de Sevran, etre en contact avec l’hôpital Necker de Paris, à qui j’avais naguère donné ma collection de disques, afin d’organiser un spectacle, auquel Yannick avait  participé auparavant, pour les enfants malades le jour de la Fête de la Musique, et concernant le toujours envisageable tennis-concert de Miami du 26 mars, j’essayais tant bien que mal de rester en contact avec les organisateurs de cet événement ; j’avais déjà échangé des informations avec une société locale de location de matériel de sonorisation et avait fait validé la liste des instruments disponibles par les musiciens du groupe ; cependant je me rendis rapidement compte que le chapitre « concert » de la participation de Yannick à ce tournoi n’était pas la grande priorité des organisateurs. Je pourchassais egalement TF1 pour la captation des Enfants de la Terre du 20 mai au Zénith ; un premier contact positif n’avait pas connu de suite, un deuxième non plus, ni un troisième, toujours tenace je continuais à les contacter jusqu'à écrire à Etienne Mougeotte, qui…ne me répondit pas, malgré la participation annoncée des sœurs Williams pour le tennis et de Florent Pagny pour la musique.

Mais Yannick Noah n’était pas à l’époque la personnalité préférée des français, et n’apparaissait pas encore dans le fameux classement.


Le point discographique

La tentative de rendez vous entre Yannick et Jean-Jacques Goldman prévue en mars échoua. Je restais cependant en contact avec son frère Robert. Celui-ci avait réfléchit au projet et me confirmât définitivement son intérêt. Il proposait de se charger de l’organisation de l’enregistrement en mettant à disposition l’équipe musicale de Jean-Jacques : Gildas Arzel, Jacques Veneruso, Christophe Battiglia, lui-même, Robert, organisée autour d’Erick Benzi et, suivant son inspiration, Jean-Jacques contribuerait à un ou plusieurs textes, et, à une ou plusieurs des musiques.
L’époque était révolue lorsque Jean-Jacques réalisait l’intégralité d’un album; peut etre cette implication créatrice était elle trop exigeante, ou prenait elle trop de temps sur ces propres réalisations, ou bien un peu des deux.
Quoiqu’il en soit, il allait participer au nouvel album de Noah, avec j’en avais la certitude, au moins une musique ou un texte.

Robert me décrivit les différentes étapes de l’enregistrement telles qui le concevait : Nous enregistrerions dans un premier temps à Paris les bases rythmiques au studio Davout, que je retrouvais après les enregistrements des albums d’Angelique Kidjo et I Muvrini.
La voix de Yannick serait enregistrée au studio d’Erick Benzi à Sceaux, et ensuite nous irions au Cameroun pour enregistrer les chœurs Africains ainsi que des musiciens locaux.
Au retour du Cameroun nous finaliserions la voix de Yannick, ajouterions des instruments si nécessaire de nouveau au studio d’Erick, et ensuite le mixage final s’effectuerait au studio Méga à Suresnes, ou Jean Jacques avait ses habitudes.
Nous profiterions d’etre au Cameroun pour tourner un vidéo clip et un mini documentaire sur place. Celui-ci deviendrai un EPK, expression utilisée à l’époque par les maisons de disques : un Electronic Press Kit, c'est-à-dire un dossier de presse audiovisuel destiné aux chaines de télévision, particulièrement celles qui diffusaient des vidéos clips : M6 et MCM.
J’aurais pu écrire mot pour mot ce scenario tant il me convenait.

Aux titres de Michel Aymé s’ajouterait ainsi une douzaine de nouvelles chansons en provenance de l’équipe Goldman, dans un esprit Reggae-Musique Africaine. Je le croyais ainsi.

Dans ce tableau idyllique s’immisçait un imperceptible signal de mise en garde: je sentais que sous la direction de Robert Goldman il y aurait très peu de places pour des titres que ne proviendraient pas de « son » équipe, c'est-à-dire ceux qui devraient etre proposés par Michel, le seul des musiciens de Yannick qui composait en vue de ce nouvel album.
J’attachais cependant beaucoup d’importance à ce fait tant la notion de groupe etait mise en avant par Yannick, essentielle à sa vie artistique. Ne pas les prendre en compte etait presque une mécompréhension sur qui etait Yannick ; Ou du moins telle était ma perception de sa relation avec ses musiciens.

Dans un courrier à Yannick du 18 mars, faisant le point, je fis état de mon inquiétude à ce sujet.

Parallèlement à mes discussions avec Robert Goldman j’avais avancé sur la piste de Johnny Clegg. Son manager européen Claude Six lui avait fait part de notre intérêt à travailler avec lui : Il préparait lui meme son nouvel album et ne pourrait se libérer qu’a partir du mois d’Octobre. Par contre il avait immédiatement composé un premier titre dans le but de le présenter à Yannick afin de savoir si la direction musicale lui convenait. J’attendais la cassette avec impatience pour l’écouter et la transmettre à Yannick. En France pour quelques concerts en été, Johnny proposât de nous rencontrer à ce moment là pour discuter plus avant de l’ensemble du projet.
Je confirmais à Claude que nous nous retrouverions quelque part cet été pendant une de ses apparitions françaises.

Vers la fin de ce premier trimestre de 1999 nous avions donc désormais des options: l’équipe Goldman, Johnny Clegg, Michel Aymé. Artistiquement elles nous menaient toutes à l’Afrique. Par contre, seules les deux premieres nous ouvriraient les portes d’une nouvelle maison de disques.

Comme je l’indiquais dans mon courrier à Yannick, je préférais celle des frères Goldman car réalisable plus immédiatement et porte d’entrée chez Sony, société qui avait mon première choix.


Concernant Yannick, il était heureux à l’idée d’enregistrer avec Johnny Clegg et de retourner en Afrique du Sud pour l’enregistrement de l’album. Il soutiendrait Michel sans réserves et pour Goldman, il attendait de voir.

Professionnellement j’etais ravi :la carte Jean-Jacques Goldman apporterais non seulement, je n’en doutais pas un instant, une ou plusieurs nouvelles chansons de qualités, mais avant tout l’assurance que je recherchais: avec lui, nous ne pouvions que signer un nouveau contrat, solide, avec une des Majors du moment Bmg, Emi, Universal, à l’exception bien sur de celle que nous venions de quitter, la Warner, à laquelle appartenait le label East-West. Principalement elle me rapprochait de celle qui m’intéressait le plus : Sony Music.

Les cinq Majors de l’industrie musicales se partageaient environ quatre vingt pour cent des ventes de disques en France et si la hiérarchie de leur part de marché ne variait que très peu au court des années, dans l’ordre : Universal, Sony, Warner, BMG, EMI, elles étaient cependant perçues différemment par les artistes et les professionnels.

Leur fonctionnement était sensiblement identiques avec les meme budgets attribués à la promotion, au marketing, et aux budgets d’enregistrements mais il n’était pas inhabituel qu’un artiste à la recherche d’un contrat veuille signer avec tel ou tel label car celui-ci avait dans son écurie un artiste emblématique, comme les Rolling Stones, Patrick Bruel, ou telle superstar du moment, Madonna, Ricky Martin, preuves tangibles du succès qu’ils recherchaient pour eux-mêmes.

En tant que manager d’un artiste, je me préoccupais plus de la personnalité du dirigeant de la maison de disques, de sa capacité à investir, à entreprendre, à ne pas faiblir dès un premier échec, à insuffler à ses équipes la persévérance nécessaire à toute réussite. C'est-à-dire tenir suffisamment longtemps pour installer au long terme la carrière de l’artiste. Etre prêt , dès la signature du contrat, à s’atteler à une, deux, trois années de labeur, inlassablement, pour obtenir le célèbre disque d’or, cent mille exemplaires vendus, de platine, trois cent mille, ou encore mieux de diamant : un million d’albums vendu.
Il s’agissait pour moi d’un sujet fondamental car à l’horizon se profilait déjà le déclin des ventes de compact disques et les exigences d’un l’actionnariat qui n’accordait plus le « donner du temps au temps » à leurs entreprises.

Mon choix se portait naturellement vers Sony, compagnie de Jean-Jacques ou j’allais retrouver Olivier Montfort, son président-directeur-général que j’avais connu lors de la monumentale opération Island au Virgin Mégastore des Champs Elysées à l’époque où celui-ci en était le directeur.
Nous nous étions revus et je savais qu’il en gardait un très bon souvenir, notamment comme étant l’une des toutes premières, sinon la première, opération-événement qui allait donner naissance à la génération des « show-cases » s’enchainant par la suite à la célèbre enseigne des champs Elysées.

Sans titres de l’équipe Goldman, ni de Johnny Clegg, je ne souhaitais pourtant pas attendre pour obtenir d’Olivier une réaction concernant la possibilité d’une signature d’un contrat d’artiste avec Sony. Je lui fis parvenir les seuls en ma possession, ceux de Michel Aymé. Rendez vous fut pris pour le début du mois de Mai.

En ce début de l’année 1999, nos orientations discographiques se précisaient : tout semblait proche et restait en réalité si lointain : le contrat d’enregistrement ne fut pas signé avec Sony Music, mais avec la société de production Music Addict appartenant à Robert Goldman le 19 juin 2000.
Lors d’une de nos réunions dans le petit bar de la rue Chapon, à coté de l’appartement Parisien de Yannick, je fis le point de notre situation à Yannick et à ses musiciens. Je laissais apparaître encore des incertitudes mais nous comprenions tous que nous prenions pieds sur une voie royale. Ces nouvelles furent saluées, debout, le verre à la main, Yannick et musiciens amicalement au garde à vous devant moi.
Nous avons vécu des moments heureux pendant ces trois années, celui-ci en fit certainement partie.

En attendant il fallait vivre, et pour cela, faire des concerts.

Entre temps quelques réponses m’étaient parvenues concernant les Enfants de la Terre : l’artiste Israélienne Noa participerait à l’événement si l’enregistrement de son nouvel album le lui permettait, 123 Soleil, le trio formé de Taha, Faudel, Khaled ne se reformerait pas, mais ce dernier serait disponible pour participer à l’événement si nous le souhaitions, c'est-à-dire si Yannick le souhaitait. Jean-François Bernardini me confirmât la participation d’ I Muvrini et son intention de créer une polyphonie originale à cette occasion.
J’attendais egalement une réponse de Robert Goldman concernant son frère en tournée à Madagascar ; Je demandais à Marie Claire Noah de lui faire porter un dossier qui l’attendrait au retour à son bureau de Montrouge


Interlude : I Muvrini
Ou, comment un câble « emprunté » dans le studio B pour le studio « A » devient le plus court chemin du Benin à la Corse !

Nous étions en train d’enregistrer l’album d’Angelique Kidjo au studio Davout cet été 1990. Elie Bénali, chargé de la production exécutive de l’album pour Island France dut se procurer d’urgence un câble, de toute évidence d’une importance vitale pour la bonne suite de l’enregistrement d’Angelique. A cette heure avancée de la nuit il n’y avait qu’une seule solution, aller en subtiliser un dans le studio voisin, plus exactement celui situé à l’étage supérieur : le studio B. L’opération réussie, la mission d’Elie fut de rapporter le lendemain matin l’indispensable câble sur son lieu d’origine.

Ce meme après-midi je rendis visite à Angelique au studio. C’etait une habitude quotidienne, plus pour affirmer mon intérêt au projet que pour m’assurer de son bon déroulement. J’avais complètement confiance en toute cette équipe, Angelique bien sur, Joe Galdo et ses collègues de Miami, les musiciens d’Angelique, le personnel de Davout, et je savais pouvoir compter sur Elie pour m’informer du moindre problème pouvant survenir pendant les quelques semaines que durèrent l’enregistrement. Il n’y en eut aucun.

A mon arrivée je sentis qu’Elie désirait me parler, rapidement et discrètement. Apres avoir écouté quelques prises d’enregistrement dans la cabine ou est située la console d’ou opère l’ingénieur du son et le réalisateur, je lui posais la question.
« Il faut absolument que tu montes au studio B ou enregistre un groupe incroyable » dont il ne me dit pas le nom mais je compris qu’il etait Corse. Bien qu'Island soit connu comme le grand label des musiques du monde, désormais communément appelées World Music, et bien que nous évoluions à Paris, capitale de la sono mondiale, suivant le terme de Jean-François Bizot, fondateur d' Actuel et de radio Nova, je n'avais pas prévu de m'intéresser à des artistes qui à priori ne connaissait qu'un rayonnement régional. Certes je ne pensais pas en termes d’identité nationale ou régionale quand il s’agissait d’un artiste, mais si celui-ci chantait en Corse, cela ne pouvait m’apparaître que comme une mission impossible, ou au moins très compliquée, quand à le faire connaître à travers le monde, l’objectif de toute maison de disques.

Me fiant totalement à l’instinct d’Elie je me rendis donc au studio B. A peine franchie la porte insonorisée qui sépare création du reste du monde, je ressentis cette étreinte, ce frisson si familier m'indiquant découvrir un univers merveilleux, inexploré. Je n’ai jamais réussi à décrire ce moment précis quand le temps s'immobilise, et telle une derferlante partie du plus profond de moi-meme, l'emotion me submerge tout entier. Un enivrement sensuel, un bouleversement qui est peut-etre ce "coup à l'estomac" évoqué par Picasso, cette "certitude immédiate" dont parle Fréderic Nitzche? 

Avais je d’abord vu ou bien entendu I Muvrini, incarné par son co-leader Jean-François Bernardini, chantant dans une urgence soutenue par la magrtial tension des cornemuses, investi dans chaque note, libéré du monde extérieur? Je découvris plus tard que le titre que le groupe enregistrait ce jour là etait l’emblématique « A Voce Di Rivolta » qui très longtemps concluait leurs prestations scéniques, accompagnant la sortie du public avec son magnifique et impérial refrain. Il vibrait encore bien longtemps en chacun après la fin du concert.
Je ne me souviens plus ce que nous nous dimes lors de ces premiers moments.Je compris que le groupe etait originaire de Bastia, venue enregistrer pour une maison de disques concurrente, mais que le contrat avec celle-ci n'etais pas encore signé. Rassuré, exalté, je les informais qu'ils venaient de signer, sur-le-champs, avec Island.
Avions-nous passé un après midi entier ensemble, quelques heures, le temps d'une chanson ? Je redescendis les marches qui me ramenait au studio dans lequel enregistrait Angelique, les oreilles raisonnantes d’ « A Voce Rivolta » et ainsi débuta une aventure avec Jean-François, Alain Bernardini, Annie Bernardini, Martin, qui allait se prolonger des années, nous emmener en Pologne, Etats-Unis, Canada, et bien d’autres pays, faisant découvrir au monde une musique universelle et un chant en langue Corse. Ce voyage nous permit de connaître des rencontres lumineuses, Stefan Eicher, Luz Cazal, MC Solaar, William Dunker, Antoni Tapies et beaucoup d’autres.

Des progrès, pas à pas…

J’envoyais un point récapitulatif à Marie Claire Noah et à Yannick au Qatar ou il participait à un tournoi des « seniors ». Je précisais attendre la confirmation du plateau définitif du spectacle Les Enfants de la Terre pour prendre de nouveau contact avec TF1 et France 2 et reparler d’un partenariat pour le spectacle du mois de Mai, avec conscience que celui-ci etait désormais très proche.

Le 28 avril nous recevions une lettre recommandée de notre future « ancienne « maison de disques East-West nous confirmant « pour la bonne forme » que nous « étions libre de négocier auprès de tout tiers de notre choix l’exclusivité de fixation de nos interprétations futures ».
Meme si il restait des points à discuter, dont ceux auxquels je tenais particulièrement: le recouvrement des droits d’exploitation des enregistrements et vidéos clips détenus par East-West, et la récupération du stock de disques existant. Je n’envisageais pas de les exploiter, mais au contraire de les faire disparaître de la circulation !
Une phrase de ce courrier nous demandait de « ne pas tenir rigueur de sa forme recommandée ». Bien entendu nous ne nous ne nous en formalisâmes pas, ni de l’avenant encore à venir, mettant définitivement fin à notre relation contractuelle. Depuis mon entrevue avec Michael Wijnen à la fin de l’année précédente, c’etait une décision verbalement entérinée, d’homme à homme, et je n’avais pas attendu une minute pour préparer notre avenir.

Comme prévu je rencontrais Olivier Montfort, président-directeur-général de Sony Music France, pendant ce mois de mai. Son bureau installé dans un immeuble moderne situé avenue Charles de Gaulle à Neuilly tranchait par sa sobriété avec l’aspect luxurieux de ceux de la plupart des patrons de maison de disques, ou l’on ne lésinait pas sur les murs saturés de photos avec tels artistes, disques d’or ou autres trophées, qui cependant méritaient leur places dans ces lieux.


Disons qu’Olivier etait moins préoccupé que d’autres à « faire savoir »mais se concentrait sur un savoir faire déjà façonné par une longue expérience du métier. N’avait il pas à alors qu’a peine âgé de trente ans découvert l’emplacement du future Virgin Mégastore des Champs Elysées à Paris, fait venir Richard Branson à Paris pour le convaincre du risque financier, justifié, ce qu’il fit avec succès, superviser ensuite sa transformation d’un banque américaine en ce qui allait devenir un lieu de destination pour tous les adolescents, et les plus âgés. Transformation épique puisque une nuit il du faire venir un général spécialisé dans les explosifs pour repérer la salle des coffres de l’ancienne Citibank. D’ailleurs il s’avéra impossible de faire exploser le coffre sans mettre en danger l’édifice, et toujours aujourd’hui pour entrer dans le rayon librairie au sous sol du mégastore l’on pénètre par le système d’ouverture de l’imposante porte blindée.

Un lieu référence souvent copié par les autres enseignes qui alliaient l’offre la plus large de produits culturels, livres et musiques, l’organisation d’événements : concerts, signatures d’artistes, avec sa propre radio, son magazine et un restaurant au dernier étage du magasin surplombant d’un remarquable point de vue l’avenue des Champs-Elysées.
D’ailleurs je suis très fier d’avoir à l’époque d’Island été à l’origine d’une des premiers « événements » au Virgin Mégastore en le transformant en Island Mégastore pendant une semaine. De nombreux artistes Island s’étaient produits à cette occasion et plus de trente trois mille disques de notre catalogue furent achetés par le Virgin complètement décoré à nos couleurs.
Seule petite note tragi-comique qui me fit comprendre combien Olivier tenait au Mégastore, comme à sa propre vie, lorsque le chanteur du groupe anarcho-punk Les Garçons Bouchers, déclarât au début de sa prestation : « Bienvenue dans le temple des musiques mortes » Cela ne fit pas rire Olivier et, moi, très moyennement, bien que meme aujourd’hui je ne peux m’empêcher de sourire lorsque je me remémore ce souvenir.

Il avait eut le temps d’écouter la cassette comportant les titres des Zam Zam, musiciens de Yannick ; il n’y allât pas par quatre chemins, dans un style direct, sans détours, caractéristique peu fréquente dans l’univers des maisons de disques. Une autre qualité d’Olivier, résultant de la précédente ou inversement, la sincérité, n’étant pas plus habituelle.

L’une des particularités de l’industrie etait le manque de courage et de probité face aux artistes: très rares parmi ses employés, qu’ils soient directeur artistiques ou chef de projets, expriment ce qu’ils pensent réellement face à un artiste ou ses représentants, enthousiastes de façade, dénigreurs une fois l’entrevue terminée, laissant place à déception et incompréhension. Combien d’artistes sont ressortis des bureaux d’une Major avec la conviction d’avoir été appréciés et la quasi certitude d’un futur contrat pour n’obtenir, quelques temps après, qu’une fin de non recevoir, laconiquement exprimée dans les termes suivants « malgré le très grand intérêt pour votre musique nous ne pouvons donner suite à votre proposition en raison du grand nombre de projets déjà en cours »…ou autre justification dans cet esprit. Et plus aucune explication, meme souvent ne plus etre pris au téléphone. Ne plus exister. Cette déception après avoir tant espérer, parce que l’on avait mis en scène cet espoir, etait terrible. Je l’avais vécu tout jeune musicien.

Cela dit je dois avouer qu’il est très difficile de dire à un artiste que ce qu’il présente n’est pas captivant, soit par manque de talent, manque d’originalité, ne justifiant pas une exploitation commerciale par une maison de disques. Dans ce cas, j’ai toujours tenté d’expliquer pourquoi, de la façon la plus argumentée possible. Je m’étonne régulièrement de la méconnaissance généralisée de la matière musicale, que ce soit le solfège, l’harmonie, l interprétation, chez ceux qui décident de l’avenir de ces artistes. Comment relever, démontrer l’imperfection d’un chant, la faiblesse d’un arrangement, le surjoué d’un phrasé, sans connaissances minimales de la théorie de la musique?

Pour pouvoir répondre à cette exigence de rigueur professionnelle, je suivis pendant plusieurs années au conservatoire à New York les cours du soir de la Julliard School of Music. En dehors de satisfaire ma soif insatiable de connaissance pour tout ce qui concerne la musique, je souhaitais etre apte à ne pas laisser désemparé un artiste a qui l’on ôte l’espoir et lui procurer des explications régulièrement accompagnées d’un signe d’encouragement, et du plus précieux des conseils: la persévérance.

A Juilliard, je fis enregistrer par Island les deux seuls albums de musique classique jamais produits par le label, ceux de mon professeur, le compositeur -chef d’orchestre Samuel Zyman et de la pianiste argentine Miriam Conti. Parmi Anthrax, U2, Eric B et Rakim, ce ne furent pas des succès retentissants, très loin de là, mais jamais Chris Blackwell ou quelqu’un d’autre dans la compagnie ne m’en fit le reproche. Pourtant je ne suis pas certain que nous vendîmes plus de quelques centaines de chaque album, malgré un très bel article du New York Times, écrit par le critique connu John Rockwell, particulièrement étonné de voir un label de musique rock s’intéresser à la musique classique contemporaine !

Olivier, content de me revoir, me confia qu’il avait eu l’opportunité de signer Yannick Noah il y a quelques années mais ne l’avait pas fait doutant de son implication réelle dans un tel projet, de sa motivation à mener à bien une carrière de chanteur.
Il m’indiqua immédiatement que de par ma présence, il etait tout à fait disposé à reconsidérer cette position. Il savait qu’avec moi, investi totalement dans ce projet, il prenait une autre dimension, et quoiqu’il arrive, me connaissant, il pouvait compter sur ma volonté à aller jusqu’au bout de ses possibilités.

Concernant le répertoire qu’il avait écouté je me souviens parfaitement de sa réaction teintée d’humour, mais néanmoins très sérieuse quand au fond du sujet : « mais qu’ont-ils fumés pour enregistrer ces musiques ? » je m’imagine regarder ou mes souliers ou le plafond à ce moment car il vrai que les quatre Zam Zam étaient des grands adeptes de la fumette ! L'un des titres présentés s’appelait « Ganja Yé » !

Je mis au courant Olivier de mes discussions avec Robert Goldman et de mon intention de confier à son équipe l’écriture et la production de certains titres incluant, bien évidemment, des titres de Jean-Jacques, meme si je ne savais encore combien.
Je le quittais en lui promettant de nous revoir bientôt avec ce répertoire plus adapté au développement d’une carrière d’artiste telle que nous l’envisagions tous les deux.

Pas à pas, se dessinait un ticket gagnant, et un futur dream team ! Noah, Goldman, Sony.
Mais la route etait encore longue. Malgré plusieurs tentatives Yannick n’avait pas encore rencontré Jean-Jacques Goldman, ni son frère Robert.
Une grande partie du mois fut egalement consacrée à la dernière ligne droite avant le tennis-concert «Les Enfants de la Terre » au Zénith.

Je continuais ma recherche de partenariats pour la retransmission du spectacle mais les medias contactés ne répondirent pas à mes appels. Seul Jean-Louis Foulquier fut d’accord pour faire de son émission quotidienne une « Spéciale Enfants de la Terre » Rendez vous fut pris pour l’enregistrer à la Maison de la Radio le 28 avril avec une diffusion prévue le 8 mai.
Marie-Claire Noah et moi-même nous étions repartis une imposante liste d’artistes à contacter, Michel Fugain, Jocelyne Beroard, Jean-Louis Aubert pour Marie-Claire, Patricia Kaas, I Am, Jean-Jacques Goldman pour moi, par exemple.
Des responsabilités furent attribuées aux collaborateurs de l’association, qui allèrent de la décoration florale à la conception des affiches, à l’accueil des artistes et sportifs de la soirée. L’événement etait remarquablement organisé et aucun détail ne restait ignoré.

Tous les artistes contactés ne vinrent pas mais la soirée n’en souffrit pas. Parmi les sportifs qui participèrent, Martina Hingis, Mary Pierce et chez les artistes, Marc Lavoine, Michel Delpech, Khaled, entre autres. Je m’attardais à cette occasion sur l’exhibition « tennis » qui etait très agréable à regarder et une franche rigolade. Yannick avec son copain Mansour Bahrami formaient un couple de comiques hilarants et je pense meme que le concept portait en soit toutes les qualités d’un spectacle en devenir. De tueur au cinéma, rôle qu’il souhaitait, à celui d’acteur comique, Yannick possédait une palette certaine de talents à développer.
Il n’y avait rien à redire, le spectacle fut réussi, les participants enjoués et talentueux, l’organisation parfaite. Seul, me semblait manquer une plus grande présence, plus affirmée, de ces « enfants » de la terre. Je ne les voyais pas pendant la soirée, accompagné de cette étrange impression qu’ils n’étaient pas présents, ce qui n’etait pas le cas. Peut-être n’etais je tout simplement pas au bon endroit au bon moment pour échanger quelques mots avec eux.
Gala titra l’article relatant la soirée « Noah fait la fête pour les enfants »: l’objectif etait largement atteint, s’amuser et récupérer des fonds pour l’association de Marie-Claire.

Robert Goldman et moi avions continué à échanger nos idées sur le concept artistique de notre projet. J’en faisais régulièrement part à Yannick.
Le réunir avec Jean-Jacques Goldman, mon intention de départ, s’avérant difficile en raison de son emploi du temps, je me résignais et décidait de continuer à aller de l’avant avec Robert seul, sachant que Jean-Jacques paraitrait à un moment ou un autre. Je n’avais besoin de lui que pour un titre ou deux, notre « assurance maison de disques », et Robert m’avait promis qu’il participerait à l’album.
La direction musicale etait maintenant acquise, « Reggae-Africa » et nous irions au Cameroun enregistrer des chœurs et ainsi ajouter la couleur locale indispensable à l’authenticité de la musique, car le reste serait enregistré par l’équipe de Jean-Jacques dans la banlieue sud parisienne.
Robert prenait main sur l’ensemble du projet mais je n’y voyais pas d’inconvénient, le temps passait, la piste Johnny Clegg avançait de son coté très lentement et j’avais écarté pour le moment celle de Miami avec Joe Galdo.
J’expliquais tout ceci à Yannick qui acquiesçait me demandant simplement d’exprimer ses doutes quand à chanter en français l’intégralité de album ; il préférait un mélange de chants Africain, Anglais et Français. Il voulait egalement enregistrer quelques titres de son guitariste Michel Aymé. Je savais que cela allait faire l'objet de discussions avec Robert Goldman mais j’etais d’accord. Michel etait de tous le plus investi et certain de ces titres comme « Yodé » commençaient à murir suffisamment pour etre enregistrés.
J’en faisais état à Robert, en tournée avec Jean-Jacques, dans un fax que je lui faisais parvenir dans les premiers jours du mois de Juin.
Dans ce courrier je lui proposais une nouvelle tentative de rendez vous avec Yannick à Paris, entre le 20 et le 23 juin.

28 juin, jour de mon anniversaire : je reçois l’exemplaire original du document mettant fin au contrat avec East-West, a faire signer par Yannick et ses musiciens qui y figurent, à l’époque, egalement. Tout prend tellement de temps dans les maisons de disques, puisque nous étions d’accord pour cette séparation depuis fin novembre !


Cependant la bonne nouvelle de la journée m’est apprise par Claude Six, manager de Johnny Clegg, nous allons recevoir le titre que celui-ci à composé pour Yannick : « Truth and Reconciliation », thème cher aux Sud Africains comme le précise Johnny.
Claude propose une rencontre Johnny et Yannick à Paris à la mi-juillet pendant les dates off de sa tournée d’été.


Le projet avance de son coté, à grand pas maintenant, avec Robert qui propose d’enregistrer dès la rentrée et partir dans la foulée au Cameroun suivant le plan pré établi. Le calendrier serait celui-ci : choix des titres fin septembre, répétitions et preproduction en octobre, enregistrement en novembre enchainant sur le voyage au Cameroun, mixage à la fin de l’année.
Je lui adresse un courrier le 8 juillet dans lequel je propose de venir lui déposer le contrat East-West désormais formelement résilié ainsi que quelques exemplaires de l’album précédent. Surtout je lui fais part de mes doutes de pouvoir aller si rapidement : en survolant le calendrier de Yannick pour le reste de l’année 1999, il est évident qu’il n’y a pas beaucoup de places pour préparer, enregistrer un album et partir au Cameroun.
Il y a encore quelques disponibilités en Octobre et en Novembre mais très peu de dates continues en raison de ses nombreux déplacements liés à son activité de tennis. Concernant le mois de décembre, Yannick réserve la deuxième partie du mois pour aller à Kribi retrouver sa famille traditionnellement réunie a l’occasion des fêtes de Noel.


Catherine, l’assistante de Yannick me fait comprendre très justement qu’il n’etait pas prudent de se fier aux horaires d’Air Cameroun, donc de planifier avec précisions, et il s’avérerait assez difficile de trouver des places pour tout un groupe en cette fin d’année.
Je préférais anticiper et proposer à Robert de prendre plus de temps et de repenser le projet véritablement à partir de la nouvelle année 2000. D’autant plus qu’à ce stade de nos discussions nous n’avions pas encore entendu un seul titre provenant de l’équipe Goldman. Mais ceci ne devait pas tarder…

Un premier titre, une réussite

….Le premier titre reçu fut une réussite : « Les Lionnes « de Jacques Veneruso donna le ton au reste de l’album meme si il ne devait pas devenir son titre emblématique. Je réussis à le faire parvenir à Yannick qui l’aima et souhaita rencontrer, ou au moins parler avec Veneruso d’autres sujets qu’il aimerait chanter.
Michel Aymé de son coté continuait à composer des musiques. J’en sélectionnais trois pour Robert en lui demandant de trouver quelqu’un dans son équipe pour en écrire les textes.


Entre temps Yannick avait écouté le titre de Johnny Clegg et ni lui ni moi n’avions été conquis. Peut etre les arrangements sonnaient ils un peu trop datés, la mélodie pas assez convaincante, mais je pense surtout que grâce à ce premier titre de Veneruso nous franchissions un pas avec l’équipe mise à disposition par Robert. Il etait important de se recentrer, se focaliser, pour avancer et entrer dans le vif du sujet : le nouveau disque. Je travaillais avec Yannick depuis une année, certes laborieuse, mais portée par cette volonté de réussir, nous allions de l’avant. D’ailleurs j’en avais meme oublié de signer notre contrat tellement mon esprit etait accaparé par la mission à accomplir.
Yannick m’annonça avoir donné comme instruction à son promoteur tennis, la société IMG, de ne pas prendre d’engagements à partir de janvier 2000 pour se consacrer à l’album, la promo, la tournée,…la musique.


J’avais déjà abordé le sujet du contrat avec Robert Goldman et établi d’utiliser celui d’East-West comme base de travail. Il avait été négocié au mieux pour Yannick par son conseil d’alors. Principalement je souhaitais lui faire bénéficier de la meme avance, trois cent mille francs , 
et j’allais surtout me concentrer sur des taux de redevances variables en fonction des résultats, c'est-à-dire une progression des redevances dues à Yannick par palier de ventes obtenues; c’etait ambitieux, mais il m’etait évident que nous allions vendre beaucoup de disques et que plus nous en vendions, plus nous devrions gagner d’argent.


Le reste du contrat ne posait pas de problèmes tant il etait classique : abattements, durée, options, budget d’enregistrement, ventes à l’étranger, réalisation d’un vidéo clip. Seul manquait un point important : la précision d’un engagement marketing valorisé, …ou non. J’hésitais car cela etait à double tranchant : si nous le fixions, nous étions certain d’en bénéficier, mais si le projet nécessitait en cours de vie un dépassement de cet engagement, le producteur pouvait se retrancher derrière le fait que le budget marketing etait dépensé. J’optais donc pour ne pas le préciser dans le contrat, conscient que nous allions avoir besoin de beaucoup d’argent pour soutenir l’album à sa sortie et après : affichages, publicités, tournées promotionnelles, voyage des medias, tout ce qui entoure la sortie d’un disque lorsqu’il est objectif prioritaire d’une maison de disques. Et j’etais bien décidé à ce que le notre le soit, chez Goldman et sa societé Music Addict, le producteur, et chez notre futur distributeur : Sony Music.


Parmi les points évoqués, celui de l’adresse de Yannick devant figurer au contrat : résidant en Angleterre, une societe gérant ses affaires, domiciliée à Monaco, fut évoquée à cette occasion.
De Sevran à Gstaad

Les concerts étaient encore rares, et organisés non grâce à la réputation artistique de Yannick, encore méconnue, mais à sa notoriété sportive. Beaucoup de municipalités souhaitaient sa présence à l’occasion d’une fête régionale ou locale. D’ailleurs ces engagements impliquaient, implicitement, la visite de Yannick au « pot » offert par la mairie ou la visite du club de tennis local. Yannick n’aimait pas ce genre d’exercice et il fallait jongler en explications plus ou moins précises pour éviter ces obligations « officielles ».
Ce fut fait lors de ce premier concert depuis le début de l’année à Sevran, hormis celui dans le cadre des Enfants de la Terre au Zénith.
A cette occasion je m’immergeais dans son organisation, activité qui allait se reproduire de nombreuses fois les années suivantes. Ce travail normalement confié à un « régisseur » ou « tour manager », comme celui-ci etait appelé dans l’univers de la musique rock, etait une fonction exigeante, un emploi à temps complet plus la date du concert se rapprochait.
Il sollicitait des compétences de secrétariat, agence de voyages, comptabilité, des qualités d’écoute et de compréhension des impératifs de tous pour le bon déroulement du spectacle.


Planifier les répétitions, organiser l’équipe technique, c'est-à-dire engager les sonorisateurs, chauffeurs, les backliners egalement dénommés « road managers », qui portent et installent les instruments sur scène quand le budget le permettait, louer le matériel de sonorisation et les moyens de transports, vérifier les conditions techniques et loges mises à disposition, récupérer le cachet du à l’artiste avant sa prestation, ce qui requiert un certain tact, et une fois le concert terminé, superviser l'emballage du matériel s’assurant que rien ne soit oublié et finalement que tout le monde rentre à bon port sain et sauf.
Une autre responsabilité endossée etait la déclaration SACEM d’après concert, document sur lequel devait figurer l’integralité des titres interprétés, leurs auteurs-compositeurs et leur durées. Celle-ci remplie je la faisais parvenir à la société d’auteurs avec ma signature comme « chef d’orchestre » !
Une fois la répartition des cachets établie pour tous nos intervenants, techniciens et musiciens, nous faisions appel à une petite structure spécialisée, Score, qui se chargeait, en échange d’une rémunération calculée sur un pourcentage de la recette, des règlements ainsi que des diverses déclarations aux caisses de retraites, URSSAF et l’organisme des Congés Spectacles.


Tout un travail que j’effectuais avec plaisir, portant attention au moindre détail, et qui évitait surtout le cachet supplémentaire d’un régisseur.
D’ailleurs si il fallait donner un coup de main au chargement ou déchargement du matériel je n’hésitais pas. Pour moi, etre manager etait un « tout », avec un seul but : faire avancer le projet. Si il etait plus simple sur le moment d’aider à porter un amplificateur, de conduire notre véhicule de location, je le faisais de bonne grâce. C’etait millimètre par millimètre que nous allions acquérir nos galons d’artistes reconnus. En cela, j’en suis certain, nous ne faisions que reproduire ce qu’avait fait des milliers d’artistes avant nous, se prendre en mains et ne compter que sur soi meme pour avancer, avancer. Je ne pense pas que Bono me démentira en se remémorant les débuts de U2.

Le concert du 19 juin n’attira pas beaucoup de monde malgré les efforts de la municipalité. Peut-être deux ou trois cent spectateurs, mais ce fut pour nous une nouvelle occasion de se produire sur scène, ce qu’affectionnait avant tout Yannick, comme tout autant, prendre du bon temps avec sa bande de musiciens.

Suivant une routine qui allait se répéter à chaque concert, une fois arrivés sur place, nous prenions possession de notre loge, ou vestiaire, quand il s’agissait de locaux sportifs. Le matériel installé et l’équipe technique prête, nous faisions « la balance » jargon du métier décrivant le moment ou les musiciens effectuent les réglages sonores en fonction de l’acoustique de la salle de concert ou du lieu du spectacle en plein air. C’est egalement l’instant quand l’artiste met au point les derniers détails d’un arrangement, d’une interprétation.
Une fois la « balance « terminée nous trouvions un ballon de football et alors s’engageait une partie amicale avec tous ceux qui se trouvaient sur place et souhaitaient y participer. Yannick insufflait une énergie, une envie de s'amuser qui ne laissait personne indifférent.La partie commençait avec quelques uns mais bientôt ce qui faisait office de terrain était envahit par un attroupement enflammé. C’etait un vrai moment de détente que je mettais à profit pour m'assurer que tout etait en ordre pour le bon deroulement du spectacle et récupérer le montant du cachet qui devait etre réglé avant la prestation de Yannick. Si cela n'avait pas été le cas, je le recouvrais juste avant son entrée en scène.
Ensuite nous attendions generalement le début du concert dans la loge puisque à l’époque il n’y en avait qu’une, et passions notre temps à rigoler des blagues des musiciens. Elles étaient particulièrement drôles et contribuaient à la bonne humeur générale, ainsi que l’alcool procuré par l’organisateur, à notre demande. Fumer un petit « joint » etait egalement d’actualité à ces moments là pour certain d'entre nous et il y avait toujours quelqu’un pour nous en proposer.


J’avais pris un vrai plaisir à cette soirée : Yannick chantait bien, communiquant à tous sa joie d’etre sur scène, les musiciens irréprochables, Philippe aux claviers et Michel à la guitare ne ménageaient pas leurs efforts à enchérir le spectacle au prix de gesticulation très réussies. Hervé, haut de son un metre soixante cinq, disparassait derrière sa batterie, mais soutenait énergiquement l’ensemble, alternant avec dextérité des rythmiques de hard rock et de reggae, François le bassiste assurant sa partition.
J’allais et venais entre notre console de sonorisation située au milieu du public chaperonnée consciencieusement par Hamid et la scène m’assurant que les musiciens ne manquaient de rien.
Le répertoire etait sensiblement le meme que lors de notre passage au MCM Café, des compositions comme Yaka, Panama, Cool Med, Madingwa ainsi que des reprises rock et de Bob Marley.
Yannick Noah et Bob Marley, mis a part les dreadlocks, coupe de cheveux des rastas jamaïquains, n’ont pas grand chose en commun. Il est certain par exemple que Bob ne se serait pas mis en slip pour assurer la promotion d’une marque de caleçons ni fait de la publicité pour vendre des casseroles.
C’est vrai, ils ne se ressemblent pas, mais à chaque fois que Yannick a interprété le magnifique Natural Mystic, et d’autres chansons de Bob Marley, je ne pouvais m’empêcher de penser que celui ci n’aurait pas renié ces interprétations, peut etre en raison simplement de l’émotion dégagée, vraie, non truquée. C’etait un moment particulier du concert car il me semblait que les musiciens s'appliquaient encore plus à donner le meilleur d'eux mêmes conscients d'aborder l'œuvre de l’artiste préféré de Yannick.
Le concert terminé nous consommâmes encore plus de boissons alcoolisées, les " joints " continuèrent à tourner, et la nuit se termina dans la plus grande euphorie.
Je rentrais en scooter, heureusement sans rencontrer de contrôle routier.


Le concert suivant nous emmena deux semaines plus tard à Gstaad, en suisse. Je découvris ainsi l’univers fermé et feutré des tournois de tennis car nous nous y rendîmes dans le cadre d’un nouveau « tennis concert ». Yannick demandait souvent à faire intégrer par l’organisateur du tournoi la prestation de son groupe, en échange d'une rémunération supplémentaire pour celui-ci. Il s’agissait cette fois d’un engagement dans le cadre de la tournée sénior ATP, le Rado Swiss Open.
Nous fumes logés au Palace Hôtel, certainement l’un des plus beaux hôtels dans lequel j’ai séjourné. Je ne m’en plaignais pas ni les musiciens et je pris conscience à cette occasion de la vie incroyable qu’ils connaissaient, grâce à Noah. Ils le suivaient à travers le monde dans des endroits les plus luxueux, vivaient comme des rois et payés pour cela.
Plus tard je compris pourquoi ils se comportaient comme des ayant-droits lors de nos prestations promotionnelles, exigeant loges luxueuses, champagne, l'attention de tous ou maugréant si la qualité de l’hôtel n’etait pas suffisamment de leur gout ; Tout cela bien entendu, jamais en présence de Yannick. Bien souvent je devais passer derrière et tenter de ne pas laisser un trop mauvais souvenir de notre passage aux organisateurs ou aux medias chez qui nous avions été conviés. Je ne réussis pas toujours.
Le concert de Gstaad fut une réussite comme à Sevran, malgré la réverbération du son qui rappelait celle d'une piscine couverte, dans une salle de sport dont l’acoustique n’etait pas prevue pour un concert.
Ce soir la nous avions été invité à un diner. Je retrouvais Yannick, les musiciens, Hamid notre fidele sonorisateur et de superbes voitures nous emmenerent vers un imposant chalet situé a quelques kilomètres de notre hôtel. Nous débarquèrent directement dans un garage souterrain abritant de nombreux vehicules. Par un escalier intérieur nous avions penetres directement dans une petite salle de restaurant comportant une douzaine de tables et décorée dans le style des tavernes locales. Nous étions les seuls convives, servis par un personnel tout à notre attention.
Le repas fut splendide, accompagnés de tous les vins et spiritueux nécessaires à notre agreement.
A la fin de la soiree je m’aperçus que nous n’étions en aucune façon dans un restaurant mais dans une maison privée ; je demandais à Yannick qui etait notre hôte et en rigolant me repondit qu’il n’en avait pas la moindre idée.
Le retour eut lieu dans un état d’ébriété avancée mais cette fois je ne conduisais pas de scooter.
Prochaine destination : une semaine plus tard, un autre tournoi, St Gallen en Autriche.
La vie de stars, déjà, mais nous encore étions loin d’en etre, au moins, musicalement.

Robert Goldman et moi nous étions régulièrement parlé et vu pendant le mois de juillet 1999, avant son départ à Los Angeles ou il allait vivre pour au moins une année. C’etait l’occasion pour lui de se couper de son travail quotidien et de se consacrer à ce qu’il voulait faire avant tout : composer et produire des musiques.
Finalement il avait réussi à rencontrer Yannick à Paris lors d’un rendez vous dans un café de l’ouest Parisien. Je n’avais pu l’accompagner en raison d’un nouveau déplacement à Miami mais n’avais pas souhaité retarder cette rencontre en imposant ma présence.
Yannick ne fut pas loquace sur le déroulement de cette première prise de contact et je perçus qu’il attendait la suite des événements, sans etre enclin à se rapprocher du frère de Jean-Jacques Goldman. Ce n’est que beaucoup plus tard, une fois le succès venu, et de nombreux disques vendus, qu’une véritable relation s’installa entre les deux.

Robert souhaitait parler directement à Yannick du projet et réalisa rapidement que cela n’etait pas facile. Il lui avait laissé plusieurs messages mais n’avait pas été rappelé, pour un raison que je connaissais : il me laissait « driver » le projet, comme nous en avions parlé lors de nos récents déplacements.

Suite au bon accueil du titre « les lionnes » je fis connaissance de Jacques Veneruso que je rencontrais début aout dans un café de la Porte d’Orléans, seul, en l’absence cette fois de Robert déjà aux Etats-Unis. Il m’apportât une cassette avec deux nouvelles chansons: « entre ta peau et la mienne », « le temps joue contre moi ».
Je trouvais quelqu’un de simple et sympathique avec un délicieux accent du midi de la France d’où il est originaire.
Je lui confirmais l’engouement de Yannick pour le premier titre qu’il nous avait fait parvenir, egalement le tout premier reçu de l’équipe « Goldman ». Ce ne pouvait qu’etre qu’un signe de bonne augure pour la suite du projet.
Je lui parlais des chansons de Michel Aymé : accepterait il des les écouter et de contribuer à écrire des textes si certaines lui plaisait ? Comme je m’en etais ouvert à Yannick, elles s’intégraient parfaitement au concept artistique « Reggae-Africa » mais manquaient de structures et de refrains mémorisables.

Je fis parvenir ce 15 aout à Yannick la cassette ainsi qu’un cd comportant deux propositions de Philippe, clavier des zam zam, accompagnés d’un courrier relatant ma rencontre avec Jacques et quelques remarques générales au sujet des compositions de l’album à venir. En nous engageant avec l’équipe Goldman nous abordions l’univers de la « variété » et certes, nous étions entre bonnes mains, mais mon expérience m’enjoignait à la précaution. Il ne s’agissait pas de condescendance envers un genre musical, mais de rester vigilant et surveiller la ligne de démarcation qui sépare la mièvrerie, la « guimauve » d’une chanson de qualité soutenue par des textes intéressants et des arrangements entreprenants.

Un labeur délicat pour des titres destinés au grand public, conçus expressément en vue de passer à la radio, avec impératif pour celle-ci, ne pas perdre d’auditeurs en cours de leurs diffusions au profit d’une chaine concurrente.

Popularisée par l’émergence des émissions à la radio et télévision, la chanson de « variété » s’est petit à petit modelée pour satisfaire au besoin de la programmation: un format court n’excédant generalement pas trois minutes trente secondes, structuré avec un refrain intervenant des la fin de la première minute ou début de la seconde, une mélodie immédiatement mémorisable et des paroles simples pour ne pas troubler l’auditeur mais « le divertir, le détendre pour le préparer entre deux messages publicitaires » comme l’expliqua un dirigeant de TF1.

Heureusement existe en France une tradition de la chanson populaire, célébrée d’abord dans les rues, puis les goguettes, les cabarets, au music hall et aujourd’hui de nombreux compositeurs comme Bergman, Roda Gil et compositeurs-interprètes comme Etienne Daho, Alain Souchon et d’autres, avaient transcendé la chanson de variété manufacturée, pour produire une véritable œuvre artistique.

Les maquettes proposées par Philippe m’avaient laissé sceptique en regard du concept actuel mais je percevais un talent évident pour des audacieuses progressions harmoniques et recherches sur le son. Je terminais ce courrier à Yannick, prédisant : « peut-être aurais-je l’occasion de réaliser un projet avec lui le moment venu ». Je ne me doutais pas encore qu’il allait s’appeler « noJazz » et serait l’un des meilleurs auquel j’ai été associé. Ce moment se produisit deux années plus tard.


Qu’y a t’il en commun entre Stevie Wonder, Earth, Wind and Fire, Claude Nougaro, et le plus célèbre producteur de l’histoire du Jazz, Teo Macero ? noJazz.
Deux musiciens du quintet jouaient dans le groupe de Yannick Noah, Philippe « Balatman » Balatier, claviériste, membre des Zam Zam et Pascal « Bilbo » Reva, percussioniste, musicien accompagnateur. En effet, existait une hiérarchie sociale dans l’équipe qui entourait Noah : les quatre musiciens qui constituaient Zam Zam, la tribu officielle et les accompagnateurs comme les choristes et percussionnistes.
Ces derniers jouaient et répétaient tout autant, mais le statut Zam Zam se traduisit par la gratification d’un reversement sur les ventes de disques, non pour les accompagnateurs réguliers. J’etais assez surpris et m’en ouvrit à Yannick lors de la première répartition des royalties, mais cela ne changea rien.

Bien qu’accaparé par la carrière de Noah, ils avaient réussi à me persuader de venir entendre leur « autre » groupe.
Celui ci se produisait régulièrement dans un petit club de Jazz du quartier des Halles de Paris : Le Sunset.
Nicolas Folmer à la trompette, Philippe Sellam, saxophone, et un DJ : Mike Chekli complétaient la formation.
Nicolas et Philippe étaient des musiciens connus et très appréciés du monde du jazz français, Mike, le DJ avait fait ses classes au club Méditerranée. Bilbo jouait aussi bien de la guitare, de la basse, de la batterie, chantait, en accompagnant des chanteurs et chanteuses de variétés de la scène musicale française. Balatman, etait un extraterrestre, sorte de Filament bondissant comme un marsupilami qui transformait les sons les plus « vils » en matière noble tel l’alchimiste à la recherche du « grand œuvre ».
Le tout prédisposait à un cocktail improbable, indéfinissable, impossible à concevoir par un directeur artistique ou un producteur.
Peut etre le groupe est il né d’une fusion, d’un big bang et certain l’expliquerons par une intervention divine ou s’appuieront sur la théorie de l’évolution musicale.

Quoiqu’il en soit rien ne ressemblait à noJazz et noJazz ne ressemblait à rien, et pourtant, dans ce magma sonore se retrouvèrent amateurs de jazz, de dance music, de pop music, de musique simplement, et si directement ou indirectement je suis à l’origine des rencontres avec les artistes cités ci-dessus, je n’y suis pour pas grand-chose: noJazz sidérait tout le monde. Le journal « Le Monde » n’écrivit il pas dans un élan rare et enflammé : Le futur du Jazz s’appelle noJazz.
Je découvris donc ce soir là une musique qui faisait danser les plus sérieux venus écouter un groupe de jazz, par hasard ou parce que le lieu le prédestinait, des amateurs de « dance musique » se régaler aux solos hypnotisant de Folmer et Sellam, les filles s’amusant des blagues de Bilbo et Mike, derrières batterie et console, ponctuant le tout rythmiquement, pendant que d’autres spectateurs, ébahis, analysaient le rapport possible entre les contorsions du marsupilami alchimiste, Balatman, et ce qui provenait de ses différentes machines à sons.


Le nombre de concerts auxquels j’ai assisté sur tous les continents se comptabilise en plusieurs milliers, pourtant rarement un groupe me fit une telle impression: je venais d’entendre des martiens, et guidé par mon instinct, instantanément je prenais mon bâton de pèlerin pour les faire découvrir à la planète terre entière.


Absorbé par la carrière de Noah je demandais à mon ami Robert Singerman, installé récemment à Paris, qui m’avait accompagné au concert, si il etait prêt à co-manager le groupe avec moi. J’avais connu Robert à New York au début des années 1980 alors que nous partagions un loft dans un immeuble de Lower Broadway, abritant egalement de nombreux artistes dont le peintre Keith Haring. Il représentait en tant qu’ agent les groupes REM, The Fleshtones, et je m’occupais de mon label Europa Records avec au catalogue des artistes comme Don Cherry, Chet Baker.
Pour Robert et moi, il n’y avait pas de doute : noJazz etait le meilleur groupe du moment.

Luc Gaurichon de Caramba Spectacles pris en mains l’organisation de leurs concerts et j'organisais un « Showcase » spécialement pour un dirigeant de Sony Music, mais « Monseigneur » ne se déplaça pas, sans prévenir, ni s'excuser. Heureusement le bouche à oreilles commençait à se propager grâce au travail de Luc, Robert et moi-même. Rapidement Pascal Bussy, directeur du département Jazz de Warner Music et Sophie Chessoux son assistante, devinrent des nouveaux fans du groupe ne ratant aucune de leurs apparitions scéniques. Logiquement nous décidâmes de signer avec Warner, plus exactement avec Pascal et Sophie.
Mais toute action est lente dans les maisons de disques et au début de cet été, je savais malgré les efforts de Pascal à convaincre son département juridique, que le contrat ne serait signé au plus tôt qu’en octobre. Je ne voulais pas attendre.


J’avais gardé contact avec Teo Macero, producteur de Miles Davis et Charlie Mingus. Nous avions réalisé un album des Lounge Lizards pour Europa et sympathisé à cette occasion. Je pense qu’il s’etait attaché à ce « frenchy » qui ne vivait que pour une passion, la musique, naviguant comme un poisson dans l’eau, du Bronx à l’East Village, allant écouter un soir Ornette Coleman, le lendemain Prince, un autre jour le New York Philarmonic. Suivre des cours à Juilliard, ou lui-meme avait étudié, etait une distinction evidente qui m’avait fait accepté par quelqu’un qui ne se livrait peu. Lui aussi ne vivait que pour la musique et jusqu’au bout, alors qu’il disposait de tout ce dont la vie offre, produisit des albums à son compte dans son « home studio » de Quoge, petite ville des Hamptons, le Deauville New Yorkais. Aucun ne virent le jour car seul comptait pour Teo leur composition et réalisation et il ne se préoccupa pas véritablement de leur commercialisation. Pourtant les plus grands musiciens n’hésitaient pas à faire le long trajet jusqu'à cette pointe extrême de Long Island pour avoir le privilège d’enregistrer avec le « maitre ».


Teo pouvait etre tyrannique en studio, d’une exigence impitoyable, allant presque assaillir physiquement un interprète qu’il jugeait défaillant pendant une séance d’enregistrement, mais tout lui etait pardonné tant son amour de la musique passait avant tout . Les musiciens le respectaient et plaçaient leur confiance en lui. L’anecdote est connue d’un Miles Davis de passage au studio pour quelques instants, le laissant terminer l’album à partir des seules minutes qu’ils avaient eut le temps d’enregistrer.
De celles-ci, Teo produisit des chefs d’œuvres comme « In A Silent Way », « Jack Johnson ».
Il etait respecté et respectueux des artistes, un intégriste de la musique: je le vis un soir furieux contre la maison de disques qui commercialisait des bandes « inédites » de Miles Davis. La raison en etait simple, me dit il : si elles n’avaient pas été publiées, c’est qu’elles ne le méritaient pas.
Peut etre les maisons de disques auraient elles du écouter plus attentivement des Teo Macero et autres « intégristes »qui s’opposaient au repackaging incessant des mêmes albums pour donner l’impression d’un produit neuf.
Ecouter ceux qui refusaient la fragmentation de l’œuvre d’un artiste pour nourrir d’innombrables compilations et objectaient à la commercialisation, artistiquement injustifiée, d’albums à l’exception de la publication de une ou deux chansons.

Une fois les maquettes écoutées il se rendit à Paris entendre noJazz dans une petite salle comble et survoltée de la rue Oberkampf. Teo n’etait pas homme à perdre son temps et nous décidâmes sur le champ que le groupe se rendrait à New York dès que possible enregistrer l’album sous sa direction.
Luc et moi mirent mains à nos poches et prirent le risque que seuls des entrepreneurs prennent, financer l’enregistrement à nos risques et périls si finalement le contrat n’etait pas signé avec Warner Music.
A mi-aout 2001, ayant pris la précaution d’arriver quelques jours auparavant, j’attendis nos martiens à l’aéroport de Newark. Direction, un petit studio de Mercer Street dans le quartier de Soho, non loin du World Trade Center.

Teo produisit l’album en seulement quelques jours. Il est vrai, le groupe etait bien préparé grâce aux concerts des mois précédents. Tous étaient de remarquables musiciens et plus d’un visiteur de passage au studio, musiciens, techniciens, s’arrêtaient pour découvrir ces musiciens français produits par le grand Teo Macero. J’avais été impressionné par le jeu de Nicolas Folmer que je considère, et ne suis pas le seul, comme le meilleur trompettiste de jazz en France mais Teo fut subjugué par le jeu de batterie de Bilbo.
Puissant, chaque nuance installant la pulsion rythmique de l’ensemble, permutant avec dextérité accelerando et ralentissements, décalant ainsi adroitement les mélodies, il organisait une architecture souple à l’intérieur d’une maitrise du tempo toujours régulière. Pour Teo, il n’y avait pas de doutes, il etait le meilleur musicien de l’ensemble.
Si Miles Davis etait vivant, Bilbo aurait certainement eut l’opportunité de rejoindre son groupe!

Nous retournâmes à Paris le 10 septembre 2001 sauf Luc qui remis son voyage au lendemain et resta bloqué plus de trois semaines à New York.
De retour nous décidèrent de remixer l’album pour lui donner une orientation un peu plus « dance » car nous ne l’avions pas véritablement capturée sous l’impulsion de Teo, celle-ci étant d’une tonalité plus Jazz.
Teo ne fut pas heureux de cette décision et il me fallut beaucoup de diplomatie et d’explications pour qu’il l’acceptât.

Sa version, l’album que nous avons appelé « noJazz : The Original Teo Macero Recordings » n’est jamais sorti.
Pourtant il nous nous avait réservé une surprise en incorporant dans celui-ci un enregistrement de la trompette de Miles Davis. Ceci signifiait combien il s’etait approprié notre projet et je trouvais là un formidable compliment de la part de quelqu’un qui avait travaillé avec Duke Ellington, Elsa Fitzgerald, Thelonius Monk, resté à l’écoute des musiques nouvelles comme celles des Lounge Lizards et plus tard noJazz.
Si vous souhaitez entendre l’enregistrement original de noJazz par Teo Macero, écrivez-moi, je vous ferais parvenir une copie de celui-ci, gratuitement à l’exclusion des frais d’envois et du cd, par plaisir de partager ces moments musicaux.

Merci, Teo.


Mangu, rappeur d’origine Dominicaine vivait à Paris depuis quelques temps. J’avais fait sa connaissance à Miami alors qu’il enregistrait son premier album avec Joe Galdo pour Island. Cet album reçu le prix « Découverte » de Radio France International en 1999 et il s’installa ici, signant avec le label Naïve.

De sa rencontre avec noJazz naquit « Candela » le titre emblématique du groupe.
Les noJazz avaient repéré un sample, egalement appelé échantillon, c'est-à-dire l’extrait d’une musique préalablement enregistrée, dans le but de l’utiliser et l’intégrer dans une de leurs compositions. Ce sample, provenait d’un album qui connaissait un immense succès, « Buena Vista Social Club », réalisé par un musicien connu lui aussi pour son intégrité artistique, le guitariste américain Ry Cooder.

Obtenir l’autorisation d’utiliser ce sample n’allait pas etre simple, et nous savions que l’argent n’aurait pas de rôle à jouer, seule la qualité de la réinterprétation par noJazz et Mangu serait importante.
Nous réussîmes à prendre contact avec Ry Cooder qui accepta, rapidement à notre surprise, tant ce projet qui permit de faire connaitre ou redécouvrir les musiciens de La Havane des années quarante et cinquante, objet d’un film de Wim Wenders, etait préservé par le label original, World Circuit, et lui meme. Aucune utilisation extérieure n’avait été accordée et jusqu’à aujourd’hui, je pense qu’il n’y eut d’autre accord d’échantillonnage ou de compilation.
D’une certaine manière l’obtention des droits d’utilisation de ce sample valida la musique de noJazz, mélange de jazz et de dance music, mais ne les imitant pas, en créa une nouvelle qui arborait sa propre authenticité.

Le titre joué sur les radios et dans les clubs du monde entier, contribua longtemps au succès du groupe sur scène, dont le paroxysme des concerts s’annonçait dès les premières notes de Candela.
A Cuba, une génération de musiciens de jazz découvrit grâce à Mangu et noJazz l’utilisation des ordinateurs et samplers, les DJs et leurs platines, associés à des rappeurs, fusionnant musique traditionnelle et nouvelles sonorités électroniques, et qui influença un nouveau courant musical, le New Latin Jazz.

A sa sortie, l’album remixé avec l’ajout de Candela fut acclamé et le groupe entama une longue série de concerts en France et à l’étranger.

Earth,Wind & Fire

De passage à La Nouvelle Orléans pour assister au « nojazz fest » le New Orléans Jazz & Héritage Festival, je retrouvais Leo Sacks, producteur de la collection Legacy pour Sony Music US.
Leo est un fou de musique qui saborda pour vivre de sa passion, l’un des meilleurs jobs de la télévision américaine : écrire le script de Tom Brokaw, présentateur du prestigieux NBC Nightly News, version américaine de notre journal de 20 heures.

En compagnie de Maurice White, leader des légendaires Earth, Wind & Fire, il préparait une nouvelle publication de l’intégrale de leurs enregistrements, remasterisés pour cette occasion. Je savais qu’ils passaient ensemble beaucoup de temps dans un studio de Los Angeles et mon intuition m’indiquait que Maurice White serait sensible au style innovateur de la musique de noJazz.
Je remis un cd à Leo avec l’espoir qu’il le transmette à Maurice White. Je ne suis pas certain qu’il fut lui-meme sensible à cette musique mais devant l’urgence, l’intensité avec lesquelles j’adossais mes explications il accepta.

D’emblée Maurice White fut impressionné par ces musiciens pleins d’audaces musicales, leur légitimité confirmée par la présence de Teo Macero, producteur du premier album. Il donna son accord pour réenregistrer un titre : noJazz song.
Satisfait du résultat il enregistra trois nouvelles versions savoureusement intitulées, Have Mercy, Self-Realization et Le Gumbo Groove. Cette collaboration de Maurice White reste exceptionnelle et il n’y a en pas d’autre exemple aujourd’hui. Elle fit un heureux parmi les heureux : le DJ de noJazz, Mike me dit que le plus beau jour de sa vie a été lorsqu’il rencontra Maurice White, son idole de toujours.

Voila une bonne raison d’exercer le métier de manager : élaborer et permettre les rencontres musicales les plus inédites.

Claude Nougaro

Le bureau de Claude Duvivier chez Phonogram devenu par la suite Polygram puis Universal, etait voisin du mien, quand nous étions tous deux « Labels Managers », c'est-à-dire responsables des activités d’un label musical,

Plus tard l’appellation label manager disparut, remplacée par « chef de produits », illustrant l’orientation prise par une activité désormais industrielle.
Les mots musique et artistes disparaissaient progressivement, remplacés par « produits », et pour travailler dans une maison de disques il devenait plus important de se référer à « Procter et Gambler » qu’à « Tamla Motown »

Claude etait label manager de Mercury, moi d’Island et Charisma. Nous nous occupions d’artistes tels Dire Straits, Elton John, et pour moi de Bob Marley, Genesis. S’occuper voulait dire organiser la sortie de leurs disques sur notre territoire, coordonner la promotion et leurs visites en France et enfin reporter au label que nous représentions.

De tous les professionnels rencontrés, Claude, parmi les plus discrets, indifférent au « bling bling » du show business, est de ceux qui aiment vraiment la musique. Aujourd’hui encore, sa journée de travail terminée, il part retrouver des amis musiciens, pour le simple plaisir de jouer de l’une de ses nombreuses guitares et répéter de nouvelles chansons.

Claude depuis de nombreuses années dirige la société Anglaise Première Music, éditrice de Henri Salvador, Baschung, Brigitte Fontaine, Claude Nougaro. Apres lui avoir présenté noJazz il signa leur catalogue sans hésitation.
Lors d’une réunion nous évoquâmes Claude Nougaro, passionné de Jazz . Il assista à un concert du groupe et leur confia un texte, le K du Q en vue d’en composer la musique ce que fit un noJazz déchainé, à son apogée créatrice, emmené par ses deux cuivres enflammés.

A cette occasion noJazz avait été le fil d’Ariane reliant l’une des chansons les plus célèbres de Nougaro « A bout de souffle », succès planétaire dont Teo Macero avait réalisé la version originale de Dave Brubeck sous le titre « Blue Rondo à la Turk » en 1959. Au meme album figurait le non moins fameux « Take Five ».

Un voyage musical de Teo Macero à Nougaro à noJazz à Teo Macero ! Que la musique est belle qui permet de telles traversées.

Stevie Wonder

noJazz enregistra son deuxième album à Los Angeles, réalisé par Wayne Vaughan claviériste d’Earth, Wind & Fire, meilleur ami de Stevie Wonder. Il donna son accord, par amitié pour Wayne et bien entendu parce qu’il découvrit une musique innovante, différente de ce qu’il entendait habituellement à la radio ou dans les clubs qu’il fréquentait. De plus, le fait qu’un DJ soit sur scène, partie intégrale d’un groupe, etait du jamais vu à ce jour aux Etats-Unis.

Mais Stevie etait une étoile filante et à chaque fois malgré sa venue au studio annoncée, ne venait pas, pris par d’autres occupations.
Le groupe reparti de Los Angeles, l’album terminé mais sans Stevie Wonder. La patience et l’insistance de Wayne qui savait combien nous attendions ce moment pour terminer officiellement l’’enregistrement du nouvel album fut cependant récompensée. Suite à une ultime supplique, Stevie se rendit une nuit au studio et contribua à deux titres « Have Fun » et « Kool », chantant et jouant de l’harmonica.

Sincèrement nous pouvions etre tous fiers, les musiciens de noJazz en premier, car je connais plus d’un artiste français qui aurait donné beaucoup pour connaître le privilège d’une collaboration avec Stevie Wonder.
Hélas cet album marqua le début de la fin d’une époque pour noJazz, ou plus exactement de celle que nous, fans de la première heure envisagions pour le groupe, etre et rester le groupe exceptionnel que nous connaissions sur scène, capable de réunir fans de jazz, dance music, soul, funk music et enregistrer des albums repoussant continuellement les frontières de musiques que nous écoutions habituellement.

Peut etre etait ce un cas de « trop, trop vite », mais le groupe perdit pied. Il se sépara très tôt de Nicolas Folmer, non pour divergences musicales mais parce qu’il le jugeait d’une personnalité trop différente. Petit à petit le point fort du groupe, leur prestation scénique, se dégrada. De la musique il privilégièrent l’aspect humoristique plus à sa place dans des clubs de vacances, en dépit des mises en garde de leur entourage professionnel, Pascal et Sophie de leur maison de disques, Luc l’agent de leur concerts, Claude leur éditeur ainsi que moi-même, leur co-manager.

Seul Robert Singerman conserva sa foi intacte dans les qualités du groupe et continua à les accompagner.

noJazz ne sera pas le futur du Jazz comme s’etait interrogé le journal Le Monde, mais ils ont certainement marqué leur époque, précurseur du mouvement Electro Jazz et faisant adopter le DJ comme un musicien parmi d’autres.

La rentrée de Septembre

L’activité des concerts restait réduite et beaucoup trop irrégulière.
Jouer en public etait nécessaire pour deux raisons, l’une financière, permettre aux musiciens de gagner leur vie, l’autre artistique, nous offrir la possibilité de travailler le répertoire et les nouvelles chansons de Michel.

S’enchainèrent un concert à Rodez, organisé par une école de commerce, un second à Besançon pour le benefice de l’association Les Enfants de la Terre, et un « tennis concert » au Luxembourg.
Le concert de Besançon, mieux rémunéré que les précédents, nous offrit pour la première fois la possibilité d’augmenter la formation habituelle de trois musiciens supplémentaires, deux choristes, Karine et Claudine et un percussioniste, Patrick. Karine et Patrick accompagnent encore Noah aujourd’hui.

Le concert de Rodez fut marqué par le retard d’Hervé, batteur du groupe qui avait raté son avion, se trompant d’aéroport au départ de Paris.
Nous avions fait les ultimes mises au point en son absence sur le lieu du concert et Yannick n’y allât par quatre chemins, attribuant un« carton rouge » à Hervé, avec pour moi mission de chercher un autre batteur si cela se reproduisait. C’etait tout à fait justifié.
De ce concert, je conserve le souvenir de Noah sur scène bouteille de champagne à la main et d’une « fête » qui dura toute la nuit.
Effrénée, je la trouvais différente de celles que j’avais eu l’occasion de connaître avec d’autres artistes. Ici nous etions plus dans le registre du club de camping ou des bronzés en vacances que dans les loges d’un concert de Rock ou de Reggae. Generalement les musiciens évoquent le concert passé, comment ils ont joués, n’hésitant pas à se critiquer et proposer des améliorations pour les prochains spectacles, leur ressenti de la soirée. Là, la musique n’existait plus, comme si elle n’avait été que prétexte pour ce moment. Cela me surprenait, mais ne boudais pas mon plaisir pour autant.

Décidé d’apporter la solution définitive à notre pénurie de concerts je pris contact avec Sylvain Mustaki, producteur d’éclectiques spectacles, de Johnny Clegg à Holiday on Ice. Sylvain fut aussi l’organisateur du premier concert de soutien à SOS Racisme et aujourd’hui fondateur de « Rock sans Papiers ».
Je m’entendis immédiatement avec Sylvain et nous décidâmes de nous mettre au travail. Pour cela nous avions besoin du matériel traditionnel qui nous aiderait à trouver des concerts : la fiche technique, une brochure de présentation et des affiches à fournir aux organisateurs.

Pour appuyer notre action, je négociais avec Mourad Malki, patron de Potar Hurlant, chez qui nous répétions à Bievres, la location d’un petit local qu’il n’utilisait pas. Je passais un certain temps à le décorer et le rendre le plus accueillant possible car je le destinais à devenir notre base permanente pour les répétitions, travailler les compositions nouvelles et un lieu permanent de réunion. Je l’imaginais comme un véritable atelier créatif ou nous donnerions le meilleur de nous meme pour la musique et pour servir Yannick au mieux. Il n’habitait pas en France et je souhaitais lui montrer à chacune de ses visites les progrès accomplis et lui faire entendre des nouveaux titres, en vue du prochain album.
C’etait sans compter sans l’animosité qui régnait entre les musiciens. En l’absence du chef de leur tribu, ils ne se parlaient pas. Je crois que ce local ne servit pas plus de deux ou trois fois.

Yannick m’invita à Salvador de Bahia au Brésil ou etait programmé un nouveau tennis-concert. C’etait tentant, mais le devoir « m’appelait » et je décidais de rester à Paris. Il y avait beaucoup à faire avec Sylvain, la conception des brochures et des affiches, la préparation d’un mailing au réseau des centres culturels.

Ressource indispensable des artistes français qui cherchaient à se produire en concerts, ce réseau qui date des années soixante-dix prit naissance dans les mémorables MJC, les Maisons des jeunes de la culture, puis s’est étendu aux Centres Culturels, salles plus grandes et mieux équipées pour les spectacles, qu’ils soient de musique ou de théâtre, et finalement aux nombreux théâtres public qui couvrent le territoire. Beaucoup plus tard, au milieu des années 80, apparaitront les premier Zéniths, de plus grandes capacités, destinés presque exclusivement à la musique.
Les artistes les plus divers de Leo Ferré à Magma, Jacques Higelin, y firent leurs premières armes scéniques et se constituèrent un public loyal venant les écouter à l’occasion de nouvelles tournées, acquérant chacun de leurs nouveaux disques. De meme beaucoup d’organisateurs de cette époque sont aujourd’hui des producteurs reconnus de la profession, comme Jules Frutos, Alain Lahana, Assaad Debs.

C’est précisément ce circuit que je désirais explorer pour faire connaître Yannick, non plus le « tennisman qui chante » mais comme artiste. Petit à petit, nous nous rapprochions de cet objectif en travaillant un répertoire plus adapté, moins emprunt de reprises rock, débarrassé de chansons comme « les Frites », plus teinté de musique world, d’influence Africaine et Reggae.

La période fut bien mise à profit et je ne regrettais pas de ne pas avoir profité du voyage au Brésil car nous réalisâmes la nouvelle affiche ainsi que le logo que j’allais désormais utiliser dans toute la communication concernant Yannick.

Celui-ci rétablissait la structure naturelle du groupe : il ne s’agissait plus d’Urban Tribu, Les Frites, Zam Zam mais désormais Yannick Noah & Zam Zam. Malgré son souhait Noah n’etait pas un musicien parmi les autres, il etait le centre et unique moteur de cette aventure musicale.

Plus tard, à la demande du producteur Goldman et de la maison de disques Sony, le nom Zam Zam disparut complètement.

Interlude: Claude Turner

Claude m’avait fait confiance, comme Adam, d’autres.

Pourquoi est la simple question que je ne cesse de me poser ; ai-je une force innée de conviction, parlais je une langue n’appartenant qu’aux artistes et dont peu peuvent en comprendre les significations les plus profondes, m’identifiais-je à leurs inquiétudes et volontés de réussir ? Certainement un peu de tout cela, en y ajoutant mon expérience, certaine, ainsi que la perception d’une honnêteté que je transmettais naturellement.

Et avant tout ils savaient: quand je disais « aimer » je ne mentais pas.

Comme un cyclone sur les iles
Tu balances tout par-dessus bord.
Pour un caprice des broutilles,
Tu m’en veux à mort.
T’es comme la nitroglycérine,
Quand on réveille, tu mords.
J’ai beau t’aimer en ballerine
Ca change pas le décor

Comment te parler ?
Sans déclenché un conflit généralisé ?

Extrait de « Quand tu dors », Claude Turner

Avec un corps d’haltérophile Claude ressemble davantage à un boxeur qu’à un chanteur, mais à l’écoute de sa voix ample et douce, capable d'aller et venir des registres les plus graves aux plus aigus, l’on ne doute plus. Légère, radieuse, en l’espace de quelques mesures elle s’assombrit devient violente, chavirant jusqu’aux notes les plus hautes.

Idées noires, armes blanches,
Il est temps d’ivoire, temps d’ivoire,
Bourreaux d’âmes sans défense,
Il est temps d’y voir
Tours d’ivoire, face blanche,
Il est temps de voir ton devoir,
Plus d’espoir, plus d’espoir
Pour les amants noirs,
Dérisoire

Extrait de « Tours d’ivoire », Claude Turner

Musicien accompli, jouant de la guitare, de la batterie, du piano, habile à découvrir et maitriser rapidement tout nouvel instrument, de la trompette à l’accordéon, Claude etait capable d’assurer le remplacement au pied levé de n’importe quel musicien d’un groupe de rock, d’un orchestre de bal musette, d’un ensemble folk.

Doté d’une culture musicale exceptionnelle, acquise en se produisant dans les bars ou dans les bals populaires de sa Bretagne natale, il pouvait interpréter l’intégralité du répertoire de James Brown ou des Beatles.

Turner n’est pas le nom qui figure à son état civil : il l’a emprunté à Nat Turner, esclave noir dont la révolte en Virginie en 1831 conduisit à la Guerre de Sécession.
Dans ce choix de s’appeler Turner il y avait plus qu’endosser un simple nom d’artiste, tant il me semblait attaché au souvenir de celui qui avait changé la destinée de l’esclavage. Plusieurs fois alors que nous nous promenions à Nantes ou Claude habitait, j’interceptais son regard portant sur un horizon imaginaire, accompagnant peut etre les navires négriers de la Société d’Angola en partance pour l’Amerique.

En dépit de cette gravité, Claude savait etre tres drole et racontait les histoires plus burlesques à une audience captive prolongeant le temps du concert jusqu'aux premieres heures du matin au bar de la salle resté ouvert pour l’occasion.
Seuls les textes de ces chansons révèlent la densité de ses voyages intérieurs.

Elle a posé ces cinquante berges ;
Tout le long du fleuve de la vie.
Tu peux l’apercevoir au bout des quais,
Au creux de la nuit.
Cachée à l’ombre des réverbères
Quand les flics font la ronde
Dans le vieux quartier d’Orange amère.
Qu’est ce que tu crois ?
Tu peux t’payer son corps mais son cœur est à moi.
Tu peux toujours rigoler,
Mais c’qu’elle me donne, c’qu’elle me donne
Tu pourras jamais m’le donner !non

Extrait de « C’qu’elle me donne », Claude Turner

Lorsque j’ai rencontré Claude, le directeur d’un label réputé s’intéressait egalement à lui. En comparaison j’avais peu à offrir si ce n’est ces qualités qui conduisent à me faire « confiance ».

Ne ménageant aucun effort je rassemblais à ses cotés parmi les meilleurs musiciens français du moment, Jannick Top, Claude Salmieri, Denys Lable et Serge Perathoner. Ils accompagnaient régulièrement sur scène et en studio d’enregistrement, les artistes les plus célèbres comme Francis Cabrel, Johnny Hallyday.

Nous primes possession du studio appartenant à France Gall ou siège toujours le merveilleux piano blanc de Michel Berger, et avons vécu là des semaines de rêves, totalement dédiées à la musique, les compositions de Claude transcendées par le talent de tous.

Au cœur du 17e arrondissement mais isolé du monde, à la fin de l’enregistrement, après avoir réécouté l’album une dernière fois avant l’ultime opération, le mastering, le silence pris possession des lieux, de simples regards entre nous suffirent, nul échange de mots ne fut nécessaire pour savourer cet instant, intensément.
Seul désaccord avec l'équipe des musiciens, Claude souhaitait enregistrer un titre supplementaire, « C’est quand la mer » et je le soutenais. Celui ci fut enregistré séparément et devint la onzième chanson du disque.
Après tant d’années je le regrette, car peut etre aurions nous du privilégier l’harmonie totale qui avait donné naissance à l'album "Matador"

J’avais signé un accord de distribution avec la société BMG. Une petite équipe rassemblée autour de moi, dans les bureaux de Robert Goldman à Montrouge, nous appelâmes les stations de radio et immédiatement le premier extrait de l’album entra dans les fameuses playlists; de bonnes critiques apparurent dans la presse, principalement régionale. Nous organisâmes des concerts promotionnels pour permettre aux medias de venir entendre Claude.
A cette période les passages de vidéos sur les chaines M6 et MCM etaient indispensables pour assurer le succès d’un artiste. Notre distributeur nous refusa l’allocation de ce budget supplémentaire. La raison m’en etait evidente, BMG souhaitait investir sur ses artistes « maisons », français ou internationaux.
Sans cet outil promotionnel, petit à petit, les passages radios s’espacèrent. Déterminé à tout donner, Claude s’organisa pour reprendre une série de concerts mais cela ne suffit pas. Un jour, aucune radio ne joua le titre de Claude, et faute de moyens, notre action s’arrêta.

Ce fut un échec que Claude vécu difficilement. Quand à moi, il etait double : au mien, celui de n’avoir pas réussi à convaincre notre distributeur à nous apporter le soutien financier necessaire, j’intégrais le sien. Sa deception etait mienne, soeur jumelle.
Comment pouvais je trahir un tel espoir ? Comment pouvais je accepter que l’on ne connaisse pas « Matador », « Mères Africaines », « C’qu’elle me donne », « Tour d’ivoire » ?
Le coeur de ma mission n’est il pas, avant tout, faire découvrir des artistes au plus grand nombre, partager leurs chansons, des émotions, leurs univers ?

Encore aujourd’hui, je pense à Claude Turner, Adam, les autres, que je n’ai pas su aider, imposer et j’aimerai pouvoir faire tant encore, pour sur les antennes des radios, entendre,

Ils peuvent bien rigoler…
Ils peuvent bien me rire au nez,
mais ce qu’elle me donne
ils pourront jamais l’effleurer…

Un diner

A son retour de vacances d’été, Yannick rencontra Jacques Veneruso. Nous avions aimé les maquettes de ses chansons, particulièrement « Les Lionnes ». A cette occasion il devint l’ambassadeur de l’équipe rassemblée par Robert Goldman. En organisant cette rencontre le projet évoluait, plus tangible, Yannick dialoguerait avec Jacques, s’impliquant ainsi directement dans le processus créatif de l’album.
Nous nous retrouvâmes dans un restaurant italien du quartier des Champs Elysées, en présence de deux amis de Yannick, John McEnroe et Mansour Bahrami. Le « Stresa »n’etait ni imposant ni clinquant, ne disposait que de quelques tables, mais paraissait etre un lieu de rencontre favori de ceux que l’on n’appelait pas encore les « people ».
Meme si je n’ai jamais recherché la connivence avec des personnalités connues, j’etais impressionné d’etre assis en face de John McEnroe, très sympathique et naturellement abordable.
Au moment de régler l’addition, je me proposais spontanément et aucune des stars présentes ne se joignirent à moi ; c’est aussi cela la célébrité, pensais-je, délesté de quelques francs d’alors.
En partant Yannick croisa Antony Delon, ils se saluèrent comme si ils ne s'étaient quittés que quelques heures auparavant. J’etais assez intrigué mais compris qu’entre célébrités, l’on se « quitte toujours la veille » meme si l’on ne s’est pas revu depuis plusieurs années, avec force de bises et grandes tapes dans le dos. Ceci dit, aucune effusion semblable, ce soir là.
La conversation ne porta pas que peu sur les compositions de l’album à venir mais ce fut une soirée très agréable et remarquant Yannick très à l’aise avec Jacques, j’interprétais cela comme un bon signe pour leur future collaboration.

de Robert à JP à Yannick
Robert Goldman n’etais pas en contact direct avec Yannick et passait par moi pour communiquer avec lui. De Los Angeles je recevais régulièrement des messages me demandant de demander à Yannick ce qu’il pensait de, ou ce qu’il penserait de…

Appliqué à bâtir un univers autour de l’album, il recherchait le plus possible d’informations et pour cela avait lu le livre dans lequel Yannick parlait de son grand père.
Je pense que Robert reproduisait la façon de travailler de son frère Jean-Jacques qu’il m’avait un jour décrite. Par exemple pour le premier album de Céline Dion, il avait réuni et lu toute la presse qui la concernait dans le but de s’imprégner de sa personnalité, de son tempérament. Ensuite, devant une page blanche, installé à sa table de travail, il construisait l’architecture du disque, décidant du nombre de titres rock, de ballades, qui devaient figurer à l’album et il « se mettait au travail ». Cela m’avait semblé scolaire mais de toute évidence une formule a succès.

Robert se documenta sur la vie passée et présente de Yannick, souhaitant qu’il « écrive simplement, en deux ou trois phrases, les sujets qui l’intéresse, ou qu’ils les disent au téléphone, soit à moi, soit à toi » »
        « dans le livre de Yannick, il parle de son grand père maternel qui écrivait des poèmes ; Il en cite meme un sur la vieillesse ; Y en a-t-il d’autres qui seraient exploitables ? Ou meme seulement une ou des phrases fortes, ou qui l’on marqué ?»
        « Si tu vois Yannick, peux tu lui demander : l’Afrique pour toi, c’est quoi ? Dans son livre il dit déjà : le sourire des mômes, mais, sans réfléchir, qu’il me dise des mots, ou de très courtes phrases.
        «Je me sert beaucoup de son livre, mais si il veut ajouter des choses. Peux tu lui demander qui à 10 ans etait son idole de tennis ?           Arthur ? Un autre ?
         Merci
         C’est pour un titre très « jungle », obsédant, transe etc.… »

Le travail de documentation effectué par Robert Goldman est le pilier du succès du premier album, la valeur ajoutée à de bonnes chansons de variétés, à la présence de Jean-Jacques Goldman, caution artistique du projet. Il fut soutenu par nos premiers concerts, par la motivation de la maison de disques et la démarche promotionnelle à laquelle Yannick adhéra progressivement.
Une activité qu’il appelait lors de notre première rencontre le « service après vente » auquel il ne souhaitait participer qu’en service « minimum ». Certainement le souvenir d’expériences précédentes.

Peu à peu, par petites touches, Yannick quittait ses habits de tennisman et devenait artiste, prenant confiance en son environnement professionnel.
De par mon action au quotidien, je m’efforçais de faire avancer le tout dans une meme direction, comme le pilote d'un bateau gardant le cap sur un horizon encore lointain.
Le projet prenait un peu de retard en raison de l’occupation de tous et enregistrer un album avant la fin de l’année n’etait pas raisonnable.
D’ailleurs je ne souhaitais pas précipiter le mouvement car Yannick n’avait pas entendu de nouveaux titres depuis les maquettes de jacques Veneruso.
Robert Goldman souhaitait toujours partir au Cameroun en décembre et me demanda si Yannick pouvait venir enregistrer quelques titres à la fin du mois d’octobre.
Dans un mail du 12/10/99 qu’il m’adressa ainsi qu’à Erick Benzi :


"Chers tous les deux,
Juste pour faire le point sur le projet.
Disons que l’on est mi-octobre, si les maquettes sont prêtes à la fin du mois (pas toutes, mais disons 6 titres) quand Yannick peut il les chanter en studio ?
R"


Je lui répondis par retour le meme jour, à 2h57 du matin. Décalage oblige, de 9 heures avec la cote ouest des Etats-Unis, et ne voulant pas perdre une journée pour cette raison, je laissais mon ordinateur allumé en permanence, en attente de l’écoute du petit message sonore : « You Got Mail ! »


"Je vais me renseigner pour les dates de Yannick pour le studio, dont tout début Novembre ?, mais je pense qu’avant il est nécessaire qu’il apprenne les titres soit chez lui ou en répétition. Je le vois mal arriver en studio sans etre préparé.
A+
JP"


Yannick n’etait pas prêt pour travailler avec l’équipe Goldman et je sentais qu’il etait préférable de prendre plus de temps, en particulier pour etre certain de la qualité de l’ensemble de l’album.
En parlant avec lui, cette impression fut confirmée, d’autant plus qu’il etait désormais pris pendant le mois de novembre et nous n’avions pas mis à profit le mois d’octobre réservé pour le travail de préparation de l’album, comme nous l’avions prévu.
Sans tarder j'écrivis à Robert Goldman et Erik Benzi le 13/10, leur proposant un emploi du temps, adapté à celui de Yannick:


"Novembre est très pris pour Yannick car il avait gardé Octobre pour pouvoir travailler les titres prévus fin Septembre, et ceci décale le planning, Noel n’arrangeant rien.
Donc ce se complique : n’est il pas plus simple de travailler par étapes :
Livraison de tous les titres en Novembre
Yann et le groupe les apprennent
Pré-production d’Erick en Décembre
Enregistrement début janvier
Cameroun fin janvier
Mix fin Janvier-début Février. Album terminé 15 février.
Qu’en pensez-vous ?
A+
JP"


Je reçu rapidement la réponse de Robert :


"C’est vrai que nous avons un peu de retard.
J’ai déjà quelques titres, mais Christophe doit les mettre au propre.
Ils sont inécoutables dans l’état actuel…bien que
Je crois qu’il est en effet raisonnable de repousser l’Afrique, sauf qu’en janvier il y a les restos : Yannick a-t-il été contacté ? si il pouvait faire cette tourné ce serait formidable de tous les points de vue, pour les restos, humainement…et pour le projet.
Mon objectif est de sortir un single au printemps (genre Avril) et l’album en Mai. Donc il n’y a pas le feu.
Je sais que l’on a pris du retard, mais ça ne devrait pas décaler la sortie.
Je réécoute les maquettes de zam zam et je te dis.
A bientôt
R
PS/Jai déjà 5 ou 6 titres, et si Yannick est d’accord, je voudrais vraiment faire une reprise de la chanson de M Fugain : Je n’aurais pas le temps en reggae, JJ itou pense que c’est une très bonne idée."


Le meme jour, dans un message suivant, Robert répondit à ma préoccupation concernant le besoin de temps nécessaire à Yannick pour se familiariser avec les nouvelles chansons avant d’aller les enregistrer en studio :


"Oui, c’est encore moi.
En ce qui concerne l’enregistrement des voix de Yannick, dans un premier temps, nous n’avons besoin de lui que pour poser des voix provisoires. Donc, des que nous avons les maquettes, nous lui envoyons pour qu’il apprenne les titres, mais dans un premier temps, le groupe n’a pas besoin de les travailler. Yannick doit les travailler avec son walkman (ou discman).
Si dans le lot, une ou des voix sont bonnes, on les garde, mais c’est pas obligé.
R"


Je restais vigilant quand aux nouvelles chansons car nous ne les connaissions pas.
Et la proposition d’une reprise de Michel Fugain ne m’enchantait pas, ni une autre proposition de Robert Goldman, la reprise de Honky Tonk Women des Rolling Stones en reggae.
Je restais donc prudent, et Yannick egalement.
Tant que nous ne connaitrions les maquettes des nouvelles chansons je ne souhaitais pas confirmer de date d’enregistrement.
Je résumais le tout le 15 octobre dans un fax à Yannick qui etait reparti à New York. J’insistais sur ce point : »Bientôt tu vas recevoir des titres, et si ceux ci te plaisent, la pré production commencera immédiatement ». Je sais qu’il appréciait mon rôle de rempart avec la production.




"En caser un"

Parallelement aux discussions avec Robert Goldman, je rencontrais régulièrement Michel, guitariste du groupe de Yannick. Seul de ses musiciens à vraiment se concentrer à l’écriture de chansons pour l’album à venir.
Michel composait de jolis thèmes dans l’esprit World music, mais les titres manquaient encore de refrains mémorisables et il n’en écrivait pas les textes.
Lors du concert de Sevran nous avions rencontrés, Jean-Paul N’Dongo, un parolier originaire de Yaoundé. Il nous avait été recommandé par Otis, ancien manager de Mory Kanté et par Manu Dibango.
Nous nous etions revus et avions écoutés les 9 maquettes de chansons déjà réalisées par Michel. Ce rendez vous se déroula bien et nous nous quittâmes avec la promesse de Jean-Paul de « se mettre tout de suite au travail »
Je prévins Yannick aussitôt car il etait important, pensais je à cette époque, qu’il sache que je poursuivais l’intention d’enregistrer des chansons proposées par ses musiciens. Peut etre attachais je moi-même trop d’importance a ce fait.


Je reçus un nouveau message de Robert le 20 octobre :

My dear Jean Pierre,
Les nouvelles sont plutôt bonnes. L’album prend forme. Il prend aussi du retard, mais pour le mieux.
En résumé on devrait avoir :
2 titres de Jacques (Veneruso)
1 ou 2 titres de Jean Jacques (Goldman)
1 titre d’Eric(Benzi)
Entre 3 et 5 titres de moi
1 titre de Gildas (Arzel)
1 ou 2 titres de Christophe (Battaglia)
Si tout va bien, on devrait avoir les maquettes à l atonalité d’ici début Novembre.
L’idéal serait que Yannick soit disponible pour quelques jours fin Novembre ou tout début décembre. Est-ce possible ?
…..
Je me doute que vous devez etre un peu dans l’inquiétude, vu que vous n’avez écouté qu’un seul titre. Mais dans l’état actuel de mes maquettes, c’est vraiment pas écoutable.
Il me reste à réécouter les titres du groupe pour essayer d’en caser un.
….
Nous avions déjà abordé le sujet du contrat avec sa société de production, Music Addict. Celui de Yannick avec sa maison de disques précédente East-West avait été négocié dans de bonnes conditions par ses representants et j’avais décidé de l’utiliser comme référence pour celui qui allait etre signé avec Goldman. Je comptais y ajouter des paliers successifs en fonction du succès des ventes de l’album comme j’en avais déjà informé Robert. Yannick etait d’accord sur cette démarche, simple et évitait de faire appel a un nouvel avocat avec le cout que cela représenterait. Je connaissais bien la structure des contrats d’artistes, donc nous ne devions pas rencontrer de difficultés majeures.
Dans le meme message :
Dernier point. J’ai relu le contrat qu’il avait avec East West. On n’en est pas encore là, mais je t’avoue (et tu le sais bien) que pour un « independant » en licence, donner 14 est pas vraiment réaliste ; Il n’est pas question de le mettre comme un débutant, mais je te proposerai probablement un progressif qui commencera plus bas que 14. Simplement pour pouvoir récupérer tous les investissements plus vite.
Voilà en gros.
J’espère que tout va bien
A bientôt
R
Au quotidien...

Pendant ces échanges Paris-LA, j’avais été  accaparé par l’organisation d'un nouveau tennis-concert, cette fois ci au Luxembourg.
Location d’un bus, de la sonorisation, engager les musiciens, récupérer le matériel chez Zaza, la sœur de Yannick, repartir les cachets de chacun, procurer un fiche technique, envoyer les affiches. Un travail absorbant que je percevais plus fastidieux que la production d’un nouvel album. Mais je m’en acquittais volontiers car nous n’avions pas encore les moyens de nous offrir un chargé de production. Nous fumes tous payés en argent liquide, en dollars, ce que je compris etre un usage lors de ces exhibitions musicales-sportives à l’étranger. Une fois mes frais remboursés je me trouvais enrichi d’environ 2,000 francs de l’époque.



Avec mon ami Sylvain Mustaki, je continuais l’élaboration d’une plaquette de présentation du groupe. Il s’agissait d’un travail d’équilibriste, mettre le nom Yannick Noah en avant, alors que quelques temps seulement auparavant il ne souhaitait pas que celui-ci apparaisse à l’affiche, seulement Zam Zam ; c’etait l’époque « je ne suis qu’un musicien parmi les autres »
Je m’arrêtais sur l’accroche proposée par Sylvain : « Bienvenue à l’an 2000 » la trouvant trop simple car Noah n’etais encore perçu par le grand public que comme un sportif. Je proposais à la place « en l’an 2000, les musiques du Monde avec Yannick Noah & Zam Zam » : mon intention etait de réunir, toujours et définitivement, la Musique et Noah.


Concernant les titres de ses musiciens, principalement ceux de Michel Aymé, j’insistais auprès de Robert Goldman avec une proposition : Depuis le début de mon travail avec Yannick j’avais envisagé le développement de sa carrière à l’étranger. Cela me semblait naturel de par sa notoriété qui dépassait nos frontières et de par ma propre expérience professionnelle à l’étranger.
Percevant que Robert Goldman n’avait pas l’intention de laisser de la place à ces titres, tout juste « essayer d’en caser un », je pensais qu’il etait possible d’envisager un album pour le marché français, un pour l’international , avec pour ce dernier plus de titres de tendance « World Music » et donc pour ceux de Michel. Certain de ces morceaux étaient joués régulièrement sur scène, Yodé, Nabunguie, Yé Mama Yé, Yembaye : il me semblait logique de penser les enregistrer  pour notre album « international ». J’informais Robert que nous travaillons déjà dans cet esprit avec notre ami parolier, Jean-Paul N’Dongo

Mon intention etait bien sur double : je connaissais l’attachement très fort de Yannick, ou je le croyais, pour ses musiciens qui constituaient sa « tribu » .Voir figurer à l’album certain de leurs titres etait une reconnaissance evidente. Ceux-ci n’avaient accueillis que très froidement ce projet de collaboration avec Robert Goldman, à l’exception de François, le bassiste-cousin de Yannick ; les autres se sentaient dépossédés de « leur » projet Zam Zam. A juste titre, car Goldman ne voulait pas qu’ils apparaissent au contrat comme cela avait été le cas dans celui d’East-West. « Il n’en est pas question » m’avait il dit lorsque j’abordais ce sujet au tout début de nos discussions. Les musiciens me le faisaient comprendre à chaque réunion et à un moment je cessais de leur expliquer que cette alliance etait dans l’intérêt de tous. Je me souviens leur avoir dit un soir, mi-sérieux, mi-rigolant, vous verrez lorsque nous aurons vendus 1 millions d’albums et feront des concerts dans le monde entier, vous m’embrasserez tous.

Robert continuait son travail de documentation.

A l’occasion, peux tu demander à Yannick comment on dit en « Camerounais » (je sais que il y a beaucoup de langues) donc comment aurait dit son grand père : I love you Africa ;
Merci.
Pour le titre MADINGWA AFRICA ; peux tu demander à Yannick comment ont dit en Camerounais :
Africa tu vis tu meurs tu ris tu pleurs tu chantes tu danses
Ou ce qu’il veut, il faudrait (dans l’idéal) que ça rime deux par deux.et au lieu de un pied, ça peut etre 2 ou 3.
Merci.
Je fit parvenir ces traductions à Robert, précisant qu’elles émanaient  de Jean Paul N’Dongo ;
Robert me répondit rapidement, inquiet :
Juste un point, auquel je viens de penser, je connais pas Jean Paul, mais j’espère qu’il ne va pas me demander de cosigner le titre ?????
Ca risque de couter beaucoup plus cher qu’un dictionnaire

Cela n’avait pas effleuré Jean Paul, ni moi d’ailleurs. Notre but etait simplement de faire avancer notre projet en s’aidant mutuellement.

Le travail effectué par Sylvain Mustaki produisait ses premiers résultats : des concerts se profilaient pour l’année 2000 ; Laigle, Aubagne, Decize, Aude, St Jean de Ruel, Othis …nous etions encore loin du circuit des villes de plus de 100 000  habitants !
Courant décembre Robert Goldman me fait parvenir les textes et un cd comprenant les maquettes qu’il proposait pour le nouvel album. L’ensemble etait de très haut niveau, me laissant rassuré sur l’avenir du projet. Nous avions maintenant définitivement la bonne équipe ainsi que le bon concept, pour « mettre la carrière de Yannick sur les bons rails » comme je l’écrivis à Robert. J’insistais cependant toujours sur l’intégration de titres de Zam Zam, souhaitant en voir en figurer au moins deux.
Il y eut des divergences avec Goldman sur quelques titres ; je trouvais  que « Tu Es La » n’etait pas dans l’esprit de l’album, car trop « rock » et je lui redis combien je pensais qu’une reprise de « Honky Tonk Women » des Rolling Stones en reggae n’etait pas une bonne idée et n’apportait rien à la qualité artistique du futur disque.
Robert Goldman n’est pas quelqu’un d’habitué à la contradiction et n’apprécia pas dans un premier temps mes remarques, me demandant de « ne pas créer de problèmes la ou il n’y en à pas ». Il comprit cependant rapidement que je n’avais pas  de parti pris, simplement des idées et une expérience que je souhaitais faire entendre,  lui confirmant que, de toute façon, les décisions finales seraient celles de Yannick…et lui.
Le rôle du manager étant de sélectionner les différents intervenants de la carrière d’un artiste qu’ils soient producteurs, tourneurs, maison de disques, éditeurs, et non de se substituer à eux.

Un fois les titres écoutés, Yannick téléphona à Robert, lui laissant un message exprimant sa satisfaction et confiance. C’etait un petit événement car ils ne s’étaient parlé que très rarement, une fois ou deux, pendant cette longue première étape de mise en route du projet. J’avais insisté auprès de Yannick pour qu’il l’appelle, le rassurant ainsi quand à sa motivation. Robert m’en fit parvenir un autre suite à cet appel: “He made my day!”

En cette fin d’année nous commençâmes à évoquer quelques dates pour faire des prises de voix tests, éventuellement en janvier. Mais suite aux problèmes récents qui avaient affecté la vie personnelle de Yannick, sa séparation d’avec Heather, rien ne pouvait etre confirmé. Comme me prévint son assistante Catherine,  « il n’est pas bien du tout et il ne sait pas encore ou il sera la semaine prochaine », celle de Noel.

L’année 99 se termina donc dans une ambiance à la fois mélancolique, je vivais personnellement la meme situation que Noah, une séparation mais n’en parlais pas, et egalement comme un formidablement encouragement car le projet d’album autour de Goldman se précisait.
Les musiciens de Noah me faisaient la tête mais je me concentrais sur le cap à l’horizon, une fois la tempête traversée, le succès nous réconcilierait. Je travaillais dans l’intérêt de tous et j’avais confiance en l’avenir, juste là, devant nous au détour de la nouvelle année : un disque, des concerts, une aventure qui ne faisait que commencer.
Je n’avais toujours pas signé le contrat de management avec Yannick Noah, c’etait la dernière de mes préoccupations : pourquoi me serais je inquiété ?
à suivre....
à mon ami Mamadou Konté

9 commentaires:

  1. bonjour jean-pierre!je pense que tu as un vrai talent de narrateur et qu'avec toutes tes expériences vécues,toutes ces personnalités que tu a côtoyé(bonnes ou mauvaises ,talentueuse ou non) tu devrais poser tout çà sur le papier,je pense que c'est presque un devoir de mémoire!plus important,beaucoup plus important que tes différents avec Yannick Noah qui à mon humble avis est un des artistes le moins intéressant pour lequel tu as travaillé.pour ce qui me concerne je crois que tu es le professionnel le plus doué et le plus à l'écoute de l'artiste qu'il m'aie été donné de rencontrer,(la non réussite (médiatique ) de mon premier album est du je pense à la grande dégradation de la qualité des maisons de disque à cette époque(déjà)et à une pression qui à mon avis ne t'as pas toujours amené à faire les bons choix .pour ma part ce fut une période très dure(voir mes chansons aux top dans les radios et aucun suivi...)mais j'en suis sorti plus fort et avec plus de convictions et je reste un artiste et un homme libre avant tout!je ne regrette rien au contraire!!merci pour tous ces artistes que tu nous as fait découvrir c'est çà le plus important!!je t'embrasse claude Turner

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  2. On attend la suite...

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  3. Je ne vous connais pas Jean-Pierre. Je suis tombée par hasard sur votre blog à cause de votre petit mot écrit lors de la disparition d'André, qui m'a profondément touchée. Permettez-moi de vous dire que ce que vous écrivez est captivant, très bien tourné. J'ai vraiment envie de lire la suite... Allez courage... au boulot !
    Isabelle

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  4. bonjour Jean-Pierre je suis venue lire votre histoire (Emmanuel m'a donné l'adresse) et je tenais à vus dire que vous avez un talent pour l'écriture. Et je voulais aussi vous souhaiter bonne chance pour la suite... Je pense que si tous le monde voyait ce que vous écrivez Yannick Noah ne serai surement plus la "personnalité préféré des Français"... Courage

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  5. Dans l'ombre des plus grands , il y a toujours des personnes qui aident et qui restent dans l'ombre....Don't Give Up The Fight!!!!
    Tino

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  6. Bonsoir, c'est un article du Monde de ce jour qui m'a orienté vers votre blog.
    Je pense comme d'autres, que si votre ressentiment est justifié, il n'en demeure pas moins que le mec Noah n'intéresse que les mous du bulbe!
    Votre parcours, votre culture musicale, par contre, sont dignes du plus grand intérêt!
    C'est un régal de remonter avec vous les années et de se souvenir de Sound Machine ou de Chris Mcgregor.
    Goldman Noah à côté...
    Bonne continuation

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  7. bonsoir jean-pierre!j'ai été très touché par(L'interlude Claude Turner)j'avais envie de t'écrire mais çà m'a pris du temps..je n'aime pas trop revenir sur le passé...J'ai noté quelques erreurs biographique(tu es tout excusé cela fait quelques années déjà!Je suis né à Paris dans le dixième(j'y tiens!)et je joue de quelques instruments mais si peu à mon gout.Pour le reste tu n'as rien à regretter en ce qui me concerne ,je pense que ce milieu n'était pas fait pour moi,ma liberté créatrice était et reste trop forte,depuis j'ai fais un tas d'expériences qui m'ont passionnées;j'ai chanté du baroque dans des formations classiques ,composé deux albums trip-hop electro je travaille sur un nouveau projet afro-beat avec un musicien américain .Ce monde n'était pas fait pour moi avec toutes ses intrigues ,ses couteaux dans le dos ..Ce buiness- affair qui se disait ton ami et qui a essayé de me saouler toute la nuit pour me faire signer avec polygram la veille de la signature avec BMG(et oui c'est vrai j'ai essayé de t'en parlé à l'époque mais voyant ta tristesse je suis revenu sur mes dires..et Anne Claverie qui jouait double jeux et ces gens de BMG qui vous me faire signer une close sans que tu sois au courant pour éventuellement me récupérer au moment voulu..Tout cela me correspond pas à mes valeurs et puis chose très importante que j'ai comprise avec le temps ,j'était sans doute le premier artiste (noir ) qui proposait autre chose que ce que l'on attend d'un black et je pense que c'était très déroutant pour certains,beaucoup de gens du milieu qui avaient entendu mon album avant de me voir m'ont fait la réflexion qu'il s'attendaient à voir un blanc..Mon combat reste le même je ne suis pas l'image à laquelle ils voudraient que je corresponde j'ai la musique dans le coeur ,dans le sang et dans l'âme,je suis sans limite...continue ton oeuvre c'est passionnant,le chemin c'est le plus important,notre rencontre reste pour moi un très bon souvenir..amitiés tendres .Claude Turner

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  8. A quand une enquete sur les enfants de la terre qui n'existent pas ?

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