lundi 16 mai 2011

Un prix

Troisième prix de la Cité Internationale Universitaire. Mai 2011.

Toute mon enfance eut pour centre un petit appartement situé dans un immeuble en briques rouges appartenant à la ville de Paris: j’habitais  Boulevard Kellermann. L’ambiance de ces années 50 puis 60 passées se révélait par leur modernité : le téléphone n’était pas encore arrivé dans notre quartier, la premier chaîne de television, unique et en noir ne fit son apparition que tardivement. La vie familiale était rythmée par le marché de Gentilly, auquel j’accompagnais soit ma mère, soit mon père. Colombe et Léopold ne s’entendaient pas et je pense même me rappeler qu’ils aient passé dans ce petit appartement plus de deux années sans échanger le moindre mot.

Colombe, bien que née à Paris était d’origine normande; Léopold, alsacien. Elle était de confession catholique, il était juif. Je connus la guerre des religions à la maison.
Leurs familles avaient été décimées par les guerres, la déportation et il n’y avait plus que nous trois.
Tout ceci n’avait pas contribué à faire de moi un enfant joyeux, j’étais timide, mais tout ceci était normal, comment aurais-je imaginé que la vie puisse être différente ?

Ma mère m’avait « placé » » dans un collège du Quartier Latin, pour m’éviter d’être en contact avec de mystérieuses bandes de « voyous »qui sévissaient dans ce quartier sud de Paris, bien que je ne les ai jamais vus.
Une de ces bandes m’inquiétait particulièrement de par sa réputation, celle de la « Brillat Savarin », du nom de la rue située de l’autre côté des voies de chemin de fer de la Petite Ceinture. Je ne pouvais  l’apercevoir alors en raison de l’imposante usine de la SNECMA qui jouxtait le boulevard Kellermann, mais je la savais proche et n’étais pas rassuré.Des que je fus en âge d’aller seul à l’école, vers 7 ou 8 ans, j’appris à me rendre à la station Cité Universitaire prendre le métro qui me conduisait à celle du Luxembourg. Pour cela, je longeais d’un cote le parc Montsouris, de l’autre la Cité Internationale Universitaire.
Ces trajets quotidiens étaient effectués en présence de jeunes hommes  et femmes, que ma mère m’avait décrits un jour, avec une certaine solennité, comme des étudiants qui « venaient  de tous les pays du monde ».

Mon sac sur le dos, je les retrouvais souvent sur le chemin du retour. Ma journée commençait à l’école le matin à 8 heure et se terminait à 18h 45. Un soir, une étudiante, que j’imaginais Iranienne, ma mère m’ayant appris qu’une princesse de ce pays lointain étudiait au Quartier Latin, me pris gentiment la main, me demanda « comment tu t’appelles » m’accompagnant en haut des marches de la station. Lorsque nous nous quittâmes, elle me fit un petit geste de la main.

Un après-midi, certainement un jeudi ou un dimanche, je regardais un athlète s'entraîner sur la petite piste de course de la cité universitaire ; je restais sur place un long moment portant un regard certainement admiratif à son agilité, son élégance, car à la fin de son entraînement il s’approcha de moi. Nous ne parlions pas la même langue, mais je compris que la sienne était l'anglais. Il s'accroupit et de son sac de sport sortit un écusson qui représentait son pays: le drapeau anglais y figurait, et en dessous, en toute lettre était écrit Nigéria. Je ne me souviens plus comment j’exprimai toute ma reconnaissance, peut-être la bredouillai-je tellement j’étais surpris. Je repartis rapidement avec le plus beau cadeau qui ne m’avait jamais été offert.
Longtemps il resta au dos de mon cartable, cousu par ma mère à cet endroit. J’étais ainsi devenu un fier Nigérian et encore aujourd’hui je pense à ce bel athlète : qu’est-il devenu ? Comment pourrais-je lui dire ce qu’a représenté pour moi l’écusson qu’il m’avait si gentiment offert ?

Je  m’étais habitué à tout ce petit monde multicolore et beaucoup plus tard je me rendis compte que jamais je ne les avais différenciés, bien qu’ils aient été africains, asiatiques, originaires du moyen orient. C’était le monde tel qu’il était, la vie que je connaissais. Je ne l’imaginais autrement.

Et puis il y avait la Garden Party du mois de juin. Celle-ci avait lieu généralement le même week-end que les 24 heures du Mans, le grand événement de ces années d’après guerre, avec le Tour de France. Mais je la préférais toujours à regarder la fameuse course automobile à la télévision.
Alors pendent une journée, je voyageais, parcourais le monde entier parmi tous ces étudiants qui me faisaient découvrir leurs pays, leurs costumes, leurs coutumes, leurs nourritures. Je rentrais le soir fourbu tel un explorateur, chargé de brochures et souvenirs, récupérés pendant ce fabuleux voyage à travers tous les continents, le temps d’une journée.

Et puis tout cela disparut, je crois après 1968. J’avais déjà 16 ans.

Aujourd'hui je ne puis m’empêcher de penser à tous ces jeunes gens, que sont-ils devenus ? Sont-ils heureux ? Je sais que je ne serais pas le même si je n avais pas connu enfant, la Cité U. Grace à elle, ce n’est que beaucoup plus tard que j’appris l’existence du mot « racisme ». Elle fut lieu d’harmonie, de rencontres, qui façonnèrent certainement l’âme idéaliste d’un petit garçon du 13e arrondissement.

Aujourd'hui hui encore, quand à la sortie du métro Cité Universitaire je croise une jeune étudiante ou étudiant, tout en  repensant à ma princesse Iranienne, mon coureur Nigérien, je leur souhaite, silencieusement, en les accompagnants d’un regard discret, de connaître le bonheur, la  prospérité, et la paix.

A Colombe et Léopold

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