Talents

De la fenêtre de l’appartement surplombant Central Park, je devinais un peu plus loin derrière Colombus Circle mon ancienne école, le conservatoire Juilliard School of Music ou j’avais pendant plusieurs années suivi les cours du soir.

En compagnie de mon professeur Samuel Zyman, nous étudions les œuvres des grands compositeurs classiques. Après une journée consacrée à développer les projets des Lounge Lizards à Don Cherry je me plongeais dans la musique de Bach et Mozart. Regarder une partition me procurait un plaisir égal à celui des plus beaux paysages, les blanches, noires, dièses et bémols ressemblaient à des envols d’oiseaux magnifiques, les arpèges à des collines enchanteresses, les accords à des pics de montagnes enivrants. Je suis persuadé que quelqu’un ne connaissant pas la notation musicale peut trouver le même plaisir à cette lecture en se laissant guider par la simple écoute musicale. A mesure que nous approfondissions l’étude d’une œuvre, ses mouvements, son harmonie, le mystère de la création me semblait s’éloigner. Le génie de Mozart m’échappait défiant toute analyse. Quelle qualité indéfinissable, surnaturelle ajoutée au talent fait qu’un artiste jouant les mêmes notes, un peintre traçant les mêmes courbes atteignent ces sommets irréels et inaccessibles à d’autres « seulement » talentueux ?

Deux artistes d’exception me ramenaient à ces questions dont je ne parvenais à entrevoir les réponses. Je les avais observés les yeux écarquillés, attentif, n’osant bouger tel l’enfant qui découvre le monde si grand, si merveilleux. Bob Marley, pendant de longues répétitions d’avant concerts explorant de nouveaux arrangements avec ses musiciens, Serge Gainsbourg au home studio de Billy Rush son producteur américain, improvisant au piano deux ou trois notes desquelles jaillissaient les prémices d’une mélodie venue d’ailleurs.