lundi 28 octobre 2013

Une étoile s'allume, une autre s'éteint

À l’approche de notre départ, je réglai les innombrables détails techniques de dernière minute avec l’organisateur Ricard Live, coordonnai les agendas de tous, finalisai le budget de cette opération financée par Music Addict et Sony Music. Nous avions arrêté une liste de dix titres, dont cinq étaient extraits du nouvel album, et avions répété ces chansons pendant plusieurs jours dans notre fief de Potar Hurlant, sous l’œil bienveillant du propriétaire du lieu et ami, Mourad Malki. Il compatissait confraternellement, témoin des turpitudes que me faisaient subir les musiciens, car il avait vécu les mêmes quand il s’était occupé d’une incarnation précédente du groupe, les « Urban Tribu ». Pendant ces quelques jours à Bièvres, nous nous familiarisâmes avec les nouvelles consoles de façade et de retour que nous allions utiliser pendant la tournée, puis nous fîmes connaissance avec les nouveaux techniciens qui venaient de se joindre à nous.
Toutes les tournées se ressemblent. Chaque jour, une nouvelle ville que nous n’avons pas le temps de découvrir, une nouvelle salle de spectacle qui a de grandes chances de ressembler à la précédente – vu de la scène, rien ne ressemble plus à un Zénith qu’un autre Zénith –, les transports quotidiens en bus ou en avion, les hôtels souvent identiques, car appartenant à une même chaîne avec laquelle un accord a été pris pour nous accueillir le temps de la tournée, le « sound check » en milieu d’après-midi, puis l’attente avant le concert, suivi du retour à l’hôtel immédiatement après celui-ci. Le lendemain matin, départ pour la destination suivante.
De nombreux artistes m’ont décrit ne plus faire la différence entre une ville et une autre, faisant abstraction du lieu, du temps, naviguant satellisé dans leur propre espace-temps. Certains s’adaptent plus ou moins bien à cette vie. J’ai le souvenir d’une conversation avec Bono après un concert donné à Lyon en 1992. Je lui avais demandé s’il souhaitait aller dans un club avant de retourner à l’hôtel. Il me répondit qu’il préférait aller faire un tour en vélo, seul, à la découverte de la ville, puis m’expliqua qu’il éprouvait le besoin de décompresser après avoir été acclamé par des milliers de personnes.
Un autre artiste qui effectuait de longues tournées chaque année se faisait appeler plusieurs fois par jour à heures fixes par la même personne. Grâce à cette thérapie téléphonique, il s’amarrait à un repère quotidien.
Nous entamions donc notre première tournée avec un attrait particulier pour celle-ci : nous devions nous produire dans le plus beau des environnements, sur des plages françaises, devant un public estimé entre 20 000 et 40 000 personnes à chaque représentation. Officiellement, nous assurions la première partie de David Hallyday. Il est vrai que ce n’était pas un public qui avait payé, et beaucoup venaient simplement passer un bon moment en famille pendant leurs vacances en assistant à un spectacle à l’affiche populaire.
Cette tournée fut le révélateur de l’aisance de Noah à se produire sur une scène devant un public de milliers de spectateurs, à parvenir à les captiver en raison de la qualité de sa prestation scénique. Des très petites salles à cet immense podium, la plus grande scène mobile en Europe, d’une puissance de 60 000 watts et longue de 12 mètres, il provoquait le même enthousiasme. C’est vrai qu’il y avait un peu un aspect colonie de vacances à faire la farandole, mais le public était conquis. Il dansait, heureux, et la musique n’était pas en reste. Yannick est devenu un artiste à part entière pendant cette tournée de l’été 2000.
Des plages de la côte Méditerranéenne à la côte Vendéenne, le succès s’amplifiait de représentation en représentation. « Le Journal du Dimanche » écrivit : « L’idée d’un Noah en chanteur a cessé d’être une fantaisie, un gag pour devenir progressivement une réalité ».
Quel souvenir que celui de voir ces milliers de personnes installées sur les dunes de Saint-Hilaire-de-Riez à la nuit tombante, Noah remplaçant au pied levé David Hallyday, en retard car il s’était égaré avec son chauffeur. Yannick improvisa un récital des meilleures chansons de Bob Marley. Le public de Port Barcarès était chaviré par l’entrain de Noah, se mêlant à la foule pour aller danser avec elle en son milieu.
L’après-midi, pendant le sound check, nous avions reçu la visite d’Henri Émile, intendant de l’équipe de France de football, qui transportait avec lui la toute récente coupe d’Europe dans le cadre d’une présentation officielle. Nous lui avions subtilisé cette coupe, faisant croire à son vol. Bien sûr, nous lui rendîmes la coupe un peu plus tard dans la journée après nous être bien amusés. Même les musiciens de Yannick – bien que le nom de Zam Zam ait totalement disparu de notre nouvelle actualité – appréciaient tous ces moments de tournée, conscients certainement qu’ils n’auraient jamais imaginé les vivre quelques mois auparavant.
Peu à peu, Yannick s’était ouvert aux interviews. Je pense que c’est parce qu’il se sentait désormais en confiance. J’avais prévenu l’attachée de presse de la tournée de ne pas trop l’accaparer, de le laisser profiter du moment. Certaines interviews ont eu plus d’importance et d’impact. Une en particulier est restée gravée dans ma mémoire. Nous venions de faire nos premiers concerts quand, un après-midi, un journaliste s’approcha de moi en demandant s’il pouvait rencontrer Yannick. Il écrivait pour le compte du « Journal du Dimanche » un article dont le sujet était la tournée d’été de… David Hallyday. Il ne me semblait pas que le moment soit le meilleur, car Yannick se détendait avec ses enfants, mais mon intuition m’alerta qu’il s’agissait d’une occasion à ne pas manquer. J’en parlai avec lui et, devant mon insistance, il accepta de le rencontrer. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque l’article parut en première page le dimanche suivant, avec l’accroche : « Le Tour de France de Noah, le chanteur ». En un seul article, les Français découvraient Yannick Noah artiste, sur scène, avec un nouvel album. Un autre sujet de satisfaction était la publication répétée de brèves dans la presse régionale, qui annonçaient que Jean-Jacques Goldman travaillait pour Noah. N’était-ce pas exactement ce que je souhaitais lorsque j’avais pris contact la première fois avec Robert ? Même s’il n’avait composé qu’un titre, il assurait à lui seul la crédibilité artistique du projet. D’autres brèves faisant état du prochain concert à l’Olympia validaient le tout
Le titre d’un journal local fut « Match Hallyday-Noah, avantage Yannick ». Un artiste était né, un autre s’éteignait en l’espace de quelques semaines cet été-là. Bientôt, Yannick deviendrait tête d’affiche, remplirait des stades avec un public qui se déplacerait pour lui et achèterait ses places.

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