dimanche 20 octobre 2013

La maison de disques


Ma première rencontre avec la maison de disques et ses représentants eut lieu le 15 juillet, dans les locaux de leur label East-West situés avenue Marceau dans le XVIIe arrondissement de Paris. C'était un hôtel particulier qui aurait davantage convenu à une banque privée, un cabinet d'avocats ou bien une ambassade. De cet endroit émanaient une opulence et une élégance feutrée, qui me semblaient éloignées de l'univers de la musique que je connaissais. Le monde de la musique qui m’était familier était plus agité, plus urbain, et les bureaux rappelaient l'agitation d'une salle de rédaction d'un grand quotidien, ou quelques fois même les urgences d'un hôpital.
J’y retrouvai mon ami Olivier Bas, mon ancien attaché de presse chez Island France, devenu directeur de la promotion – ou de la « promo », dans le langage maison de disques –, ainsi que le directeur du marketing Aymeric Beguin. Nous fûmes rejoints au téléphone par Christophe LeBelleguy, chef de produit du projet Zam Zam.

Olivier m'annonça que les résultats n'étaient pas bons, voire même très mauvais : les radios ne jouaient pas du tout le single « YéYéYé », premier extrait de l’album. Le succès d'un titre à la radio est indispensable à la réussite commerciale d'un album, il conditionne son succès. Sans passage radio, le seul moyen de maintenir en vie le potentiel commercial d'un album à sa sortie est une opération « marketing » : il faut en quelque sorte lui donner une résonance qu'il n'obtient pas naturellement.
Habituellement, la stratégie complémentaire à la promotion radio est celle des passages en clubs. Ainsi, lorsque la musique ne s’y prête pas, il est indispensable pour une maison de disques de trouver un habillage pour cette exploitation – je ne serais d’ailleurs pas surpris qu’il existe des versions « club » de chansons de Mireille Mathieu ou de Charles Aznavour !
Généralement, on reprend le titre original, on accélère le tempo à 120 BPM (beat per minute, ou 120 temps par minute), on rajoute une grosse caisse, un tchac-boum- boum, et le tour est joué ! Le fameux remix tant attendu est prêt pour l’envoi aux boîtes de nuit.
Dans le cas de « YéYéYé », cette option n’était plus envisageable, car à la mi-juillet, les titres de l’été tournaient déjà sur les platines des DJ – ceux-ci les ayant reçus dès le mois de mai.
La proposition d’une action « marketing » est à double tranchant, et je m’en suis toujours méfié, particulièrement au stade du lancement d’un nouvel album ou d’un nouvel artiste.
Souvent artificiel, car ne reposant sur aucune réalité artistique ni résultat promotionnel, le « plan marketing » manque son but, et une fois la campagne terminée, on entend plus ni la chanson ni parler de l’artiste.
Le marketing à outrance est en bonne partie responsable des déboires actuels des maisons de disques. Combien de campagnes publicitaires ont été lancées avec pour seul but la rentabilité instantanée, au mépris du public ? Combien d’albums ont été ainsi vendus à coup de marketing, alors que sur la douzaine de titres qu’ils comportaient, seulement un ou deux méritaient qu’on leur prête attention ?
L’album « Zam Zam » était de teneur artistique très inégale, et certains titres étaient les exemples parfaits de ce qu’un artiste crédible ne devrait jamais enregistrer : après « Les Frites », « YéYéYé » était une autre chanson ridicule et burlesque. Il s’agissait sans doute de l’intention première du groupe, car à cette époque, « bien rigoler et s’éclater » était l’ultime objectif. Je préférai tourner la page très rapidement et repositionner l’ensemble du projet grâce à un autre titre qui figurait sur l’album : « Madingwa ». Cette chanson correspondait davantage à ma vision naissante d’un univers musical appartenant à Yannick Noah, plus traditionnel, plus africain, plus lié à ses racines et ancré dans son histoire personnelle. Apparaissaient déjà les prémices d’une chanson comme « Simon Papa Tara », qui allait amorcer sa carrière musicale actuelle.
Travailler un nouveau single, c’est-à-dire une nouvelle chanson, me permis d’organiser un plan de travail avec l’équipe East-West sur de nouvelles bases, avec pour premier objectif de remotiver les médias. Par contre, je ne voulais pas tout miser sur les passages radio et demandai à la maison de disques la réalisation d’un vidéo-clip du nouveau titre.
Plusieurs raisons m’ont poussé à faire ce choix. La principale était que je savais ne pas pouvoir beaucoup compter sur la présence de Yannick vis-à-vis des médias, en raison de ses impératifs de séjours hors de France et de son aversion pour tout ce qui avait trait à la promotion, qu’il considérait à l’époque comme plus ou moins « du racolage ». Dans un sens, je le comprenais, car en fonction du profil d’un artiste, une promotion non conçue peut très rapidement dégénérer : j’ai le souvenir de proposition d’interviews pour « Les Amis des chiens » ou « La Revue des joueurs de Bridge », car il était important d’obtenir des entretiens coûte que coûte, même s’ils n’ont aucun rapport avec l’activité musicale.
Je dirigeais mon travail sur l’image de Yannick Noah, désirant la rapprocher d’une couleur « musique du monde », proche de ses origines africaines, ce qui n’était pas perçu dans ses enregistrements récents avec les Zam Zam ou ses groupes précédents.. « Madingwa » s’y prêtait tout à fait : un Yannick Noah plus roots, plus world music que ses précédents opus, comme « Urban Tribu » ou « Zam Zam ».
L’existence d’une vidéo me permettait également d’avoir à tout moment un outil promotionnel à disposition, et serait également utile pour une première approche afin d’amorcer une carrière internationale. Nous y songions déjà !
Concernant les médias, je souhaitais faire un travail de fond qui soit crédible, et proposai l’organisation d’une tournée en province destinée aux médias locaux. Je savais pertinemment qu’il ne fallait pas compter sur les poids lourds de l’époque – FUN, SKYOCK, RTL2 – et surtout sur celui, voire le seul, qui décidait de tout : NRJ. Ma stratégie était de se faire d’abord connaître en province, avec l’intention que ce succès rejaillisse sur les radios parisiennes, dont bien sûr l’incontournable NRJ.
Pour compléter cette visite des médias en province je proposai une tournée des FNAC dans la journée et des clubs en soirée.
Il était plus simple de travailler par période que par journées éparpillées, et ces deux mini tournées répondaient à cet objectif : disposer de Yannick pour une promotion plus axée sur l’artistique que sur le tube de l’été.
Je proposai des noms de réalisateurs de vidéo-clips comme CharlElie, dont j’admirais les talents de vidéaste, plasticien et peintre, et l’art de Michel Meyer, qui avait réalisé de magnifiques clips pour Island, dont ceux de Poupa Claudio et Angélique Kidjo.
Encore plus décalé, je pensai à Bartabas et Ariane Mnouchkine, sans avoir la moindre idée de savoir s’ils réalisaient des clips ou même s’ils seraient intéressés.
Il est certain que je privilégiais la créativité totale à mille lieues du marketing et d’une promotion traditionnelle. J’imaginais également utiliser des éléments de ce futur clip dans la mise en scène de nos concerts, ne serait-ce qu’allusivement, faute de moyens.

Je souhaitais aller rapidement et demandai au label que le nouveau single soit prêt en septembre et le clip en octobre.
MCM nous proposa un concert pour l’ouverture du MCM Café le 17 septembre, et l’équipe d’Olivier travaillait pour obtenir notre passage au « Concert d’un soir » de RTL.
J’envoyai un compte rendu de ce rendez-vous avec East-West à Yannick et aux musiciens, en leur précisant que mon prochain rendez-vous avec le label aurait lieu le lundi suivant.
Dans ce même courrier je demandai aux musiciens s’ils avaient des enregistrements live de certaines de leurs chansons (pas « Les Frites » !) pour les inclure sur le prochain simple de « Madingwa » en bonus, comme le font les artistes.
Pendant les jours qui suivirent cette réunion, je me consacrai à la recherche du réalisateur de notre futur vidéo-clip. Je pensai tout d’abord à Michel Meyer puis à Seb Janiak, que je ne connaissais pas. Son nom m’avait été donné par l’un des musiciens, me précisant que Yannick aimait bien le clip que celui-ci avait réalisé pour Jean-Louis Aubert. Ne sachant comment le joindre, je demandai cette information à Marc Marechal, directeur de la promotion chez Virgin.
Je restai en contact avec l’équipe East-West : Olivier, Aymeric et Christophe, pour la gestion de l’activité en cours.
À cette même période, je pris rendez-vous avec Michael Wijnen, directeur du label East-West, qui était la seule personne habilitée à valider ma stratégie de repositionnement du projet.
Je connaissais Michael depuis plusieurs années et le considérais comme un très bon professionnel du métier du disque. Un « record man », comme disaient mes amis américains. Je lui exposai ma vision du projet Yannick & Zam Zam et je pense qu’il l’apprécia, à quelques nuances près.
Cependant, il me fit part d’un énorme problème, incontournable, et que d’après lui je ne pourrais pas rectifier : l’artiste ne veut pas et ne fait pas de promo.
Bien sûr, j’avais déjà intégré cela dans ma stratégie et pensais le résoudre de deux façons.
Il était possible de disposer de Yannick sur des périodes regroupées plutôt que par courts épisodes successifs, tel un artiste international, suivant les demandes des médias. C’était une manière de travailler à laquelle j’étais habitué, car la plupart des artistes chez Island étaient d’origine étrangère, disponibles uniquement par petites périodes, toutes prévues et organisées très longtemps à l’avance.
Plus important : je voulais absolument cibler et concentrer les campagnes de promotion, car je pensais que Yannick se rendrait plus disponible une fois en confiance. Ce fut effectivement le cas.
Quand on s’appelle Yannick Noah, rien n’est plus facile que d’obtenir les couvertures des hebdos télé ou de la presse people. Ce qui m’intéressait, c’était qu’il fasse partie de l’actualité dans les magazines, les émissions de radio et de télévision qui parlaient de musique. Il valait mieux ne pas communiquer que communiquer au mauvais endroit, contrairement à l’adage : « en entendre parler, même en mal », ce qui est également vrai.
La principale « nuance » pour Michael Wijnen était de ne pas réaliser de vidéo-clip sans passage radio du titre concerné. Je m’y attendais, mais anticipant les passages radio du prochain titre, j’avais commencé à réfléchir à sa réalisation.
À la fin de cette réunion, Michael convia Yannick, le groupe et moi-même à venir à un « pot » de rentrée avec les artistes maison East-West le 26 août. Je n’aurais manqué cela pour rien au monde et confirmai notre présence pour cette date-là, sans avoir eu le temps d’en parler à Yannick ni au groupe.

Concernant le projet d’une mini-tournée des FNAC et des clubs, parmi tous les promoteurs de tournées, ou « tourneurs » – mot que je n’ai jamais aimé et que je n’emploie pas – je pensais à Jean Gemin, qui avait travaillé avec les plus grands artistes de la planète rock : de Téléphone à Pink Floyd, entre autres.
Nous avions collaboré quelques années auparavant sur un projet pour lequel nous nous étions totalement investis, dans tous les sens du terme, lui comme promoteur et moi comme manager : la carrière d’un artiste américano-cubain basé à Miami : Rosco Martinez.


 Rosco devait devenir la nouvelle star de la musique latino-américaine. Du moins, c’est ce que nous pensions Jorgen Larsen(président mondial d’Universal), Desmond Child (célèbre producteur américain), et moi-même. Finalement, à notre grand regret, au moment où tout devait se déclencher, il s’écroula à cause de différentes substances et retourna aux oubliettes. De cette expérience, je retiens que sans la volonté absolue de réussir, le talent ne sert à rien. Au même moment, dans le même studio, avec Desmond comme même producteur, un autre artiste se préparait à devenir une grande vedette internationale : Ricky Martin. Je me souviendrai toujours de Desmond, me répétant que pendant que Rosco dormait ou faisait la fête, Ricky travaillait avec une seule obsession : réussir !

 Jean Gemin est un personnage attachant, bon vivant, généreux à la faute, et je le soupçonne d’avoir fait ce métier pour rencontrer des artistes, le public, et pour voyager, plus que par amour de la musique. À tout cocktail du show-business, je préférais passer une soirée avec Jean pendant laquelle il racontait comment il avait retrouvé le batteur des Who, Keith Moon, perdu et oublié dans une ville après un concert, des anecdotes concernant les Rolling Stones en tournée en France dans les années soixante-dix, ou comment un campement de gens du voyage avait failli faire annuler un concert du groupe AC/DC à Bordeaux, car ils avaient envahi l’esplanade située devant l’entrée du stade où devait se dérouler le concert, et il n’était pas question qu’ils en partent !
Sa société avait connue de graves difficultés suite à des annulations de concerts de Michael Jackson et des Cranberries à la dernière minute, et Jean me semblait plus disponible que d’autres pour s’occuper d’un projet débutant de zéro, comme celui de Yannick et de son groupe à l’époque. Je pensais aussi que son côté très humain plairait à tous et, pour ma part, l’idée de retravailler avec lui était un vrai plaisir.
À la veille de courtes vacances de la mi-août, je fis parvenir à tout le groupe un compte rendu d’où nous en étions à ce moment-là.
Pendant ces quelques jours je ne restai pas inactif : anticipant la sortie du prochain single « Madingwa », je réfléchissais à quel producteur confier le « remix » dont nous aurions certainement besoin pour rester dans la logique promotionnelle : passages sur radio FM, vidéo-clip sur M6 et MCM, remix pour les clubs.
Il n’était pas question d’ajouter simplement une grosse caisse au titre original et d’accélérer le tempo à 120 BPM, la recette habituelle. Dans un esprit proche de la « world music », que je commençais à percevoir comme la direction musicale à privilégier, je contactai Michel Sanchez, coproducteur de Deep Forest. À cette époque, le groupe était une référence absolue dans ce style de musique, mais ils faisaient aussi partie des seuls artistes français à avoir réussi au niveau mondial.
Je rencontrai Michel dans son nouveau studio situé dans le nord de la France. Je ne me souviens plus jusqu’à quel stade allèrent nos discussions, mais quelques années plus tard, Michel me dit que j’avais eu raison de le contacter, et je perçus une lueur de regret de ne pas avoir donné suite à cette proposition.
Le 26 août, je passai prendre Yannick chez lui, rue Chapon, pour aller au pot de rentrée chez East-West ; toute l’équipe « promo » était présente et ce moment fut agréable. Ce jour-là, lorsque nous nous séparâmes, Yannick me dit qu’il me faisait entièrement confiance, qu’il aimait ma façon de travailler et, me regardant dans les yeux, il ajouta : « J’ai l’habitude de me donner à fond et je réussis ce que je fais, tu peux compter sur moi ».
Deux jours plus tard, je lui adressai un fax dans lequel je faisais état d’une conversation avec Bill Berger, vice-président d’une autre société du groupe Warner : le label Elektra à New York.
Avec le recul, peut-être n’était-ce pas si important ou pas le moment, mais j’apportai en ce début de collaboration une grande attention au développement de la carrière de Yannick à l’international. Ceci en raison de sa notoriété à l’étranger, même si celle-ci reposait sur son activité sportive : c’était déjà cela ! Et d’autre part, en raison de mon expérience professionnelle qui me dirigeait naturellement dans cette direction.
Bill Berger était l’ancien directeur des ventes et directeur marketing d’Island. Nous avions travaillé ensemble à New York. Devenu vice-président du label Elektra, il était très lié à Sylvia Rhone, grande « patronne » de la musique au sein du groupe Time-Warner, auquel le label East-West, qu’elle avait créé, appartenait.
Sylvia, personnalité reconnue, a régulièrement été désignée comme une des femmes noires américaines les plus influentes du monde des affaires aux États-Unis, la première à gravir tous les échelons d’une industrie assez sexiste et réservant ses meilleurs postes à des hommes : l’industrie du disque.
Ne perdant pas de temps, je contactai immédiatement Bill ; nous nous étions très bien entendus et sommes devenus amis. Cultivé, épicurien, grand spécialiste de Wagner, mais dans la journée dédié au service d’artistes comme Anthrax, Buckweat Zydeco, il m’avait fait profiter de son abonnement annuel au Carnegie Hall de New York : de Gilberto Gil au New York Philarmonic, j’assistai pendant plusieurs saisons aux concerts des plus grands artistes.
Un déjeuner fut rapidement organisé : je me souviens que Yannick hésitait à s’y rendre, n’en comprenant peut-être pas la portée, mais je n’avais aucun doute sur son intérêt. D’ailleurs, immédiatement après celui-ci, échantillons et dossiers de presse furent demandés par le bureau de New York au bureau parisien de East-West.
Sylvia proposa de s’occuper personnellement de contacter des « key » people pour aider Yannick dans sa carrière américaine s’il le souhaitait. Bien entendu, « je » le souhaitais et savais que cette proposition n’était pas des paroles en l’air, mais une réalité à saisir sans hésiter. Parmi ces contacts mentionnés par Sylvia Rhone : Wycliff Jean et les Fugees, le groupe de l’année !
Mes e-mails et coups de fil à Yannick et Bill pour organiser ce déjeuner étaient rentabilisés à 1000 % : j’étais un manager heureux !

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