samedi 12 octobre 2013

Marianne


 
Nous avions passé la journée entière dans cette suite du Grand Hôtel, place de l’opéra à Paris. Bien que je ne m’occupais pas directement de la promotion de nos artistes Island, le responsable habituel de ce service ayant été mandaté sur une autre visite d’artiste, on me demanda d’accompagner Marianne Faithfull pendant cette journée promotionnelle qui préparait la sortie de son nouvel album : « Broken English ».

Nous l’avions reçu quelques semaines auparavant et étions enthousiastes à l’écoute de ce disque qui allait marquer le véritable début de sa carrière.

Dans la pièce où nous accueillions les journalistes j’avais fait installer une petite « chaine stéréo » comme elles étaient appelées à cette époque et  déposé sur une petite table ronde dossiers de presse et photos officielles. Un petit bouquet de fleurs que j’avais pris le soin d’acheter juste avant d’arriver à l’hôtel complétait notre espace de travail qui côtoyait la chambre de Marianne. A la fin de chaque face du disque 33tours posé sur la platine, inlassablement je me levais, le retournais et reposais l’aiguille du pick-up au commencement de la nouvelle face. Je me rappelle ne m’etre jamais lassé de cette écoute en continu tellement j’aimais cet album. Le titre principal dont nous espérions tant que les radios le joue s’appelait « The Ballad of Lucy Jordan » et à chaque  fois que j’entendais les paroles,

At the age of thirty-seven she realised she'd never

Ride through Paris in a sports car with the warm wind in her hair

The Ballad Of Lucy Jordan lyrics © T.R.O. INC.

mon regard se deportait sur les rideaux derriere lesquels je devinais le boulevard des Capucines d’où s’échappaient les sons de la vie quotidienne, et un court moment, intemporel, féerique, prenait place.
La journée qui avait commencé tôt le matin se déroula dans cette unique pièce ou se succédèrent les journalistes jusqu’à tard dans la soirée. Entre chaque interviews Marianne prenait le temps de parler avec moi de politique, musique, cinéma, de la France, elle était curieuse de tout. Heureuse de l’attention qui lui était portée, très fière de son disque, elle semblait néanmoins un peu surprise mais agréablement, de l’engouement de tous réservé à la qualité artistique de « Broken English ».

A la fin de cette journée, la nuit déjà tombée,  nous écoutâmes une nouvelle fois « The Ballad of Lucy Jordan » mais je réalisais immédiatement  qu’il ne s’agissait plus de la version du disque posé sur la chaine à coté de nous, mais bien d’un passage à la radio, le tout premier, qui clôturais ainsi cette journée, lui donnait un sens, une réalité. Levé d’un bond et tellement exalté  j’arrivais à peine à me faire comprendre, lui expliquer « c’est la radio, it’s the radio, yes, radio… » Quand elle réalisa, un éclair de bonheur traversa son visage lumineux et je crois me souvenir m’etre jeté dans ses bras. Je me rappelle qu’il s’agissait de la station Parisienne FIP, et pour l’éternité je lui suis redevable de ce moment d’ivresse naturelle. Plus un seul journaliste n’étant attendu, je devais prendre congé, la laisser se préparer à sa soirée Parisienne où elle comptait de nombreux amis. Repliant photos, dossiers de presse je l’appelais pour lui dire au revoir, très ému de cette journée passée en compagnie. A mon « good bye » elle m’appela dans sa chambre, et complètement déshabillée devant moi, en toute simplicité, elle me dit ce qui me semblait etre un « au-revoir » en français. Tout vacilla pendant ces quelques secondes, dixièmes de secondes, je me retirais de la pièce les sens bouleversés. N’étais-je qu’un simple employé de sa maison de disques ou bien un lien plus fort s’était-il crée ? Encore aujourd’hui je ne conserve  que le seul souvenir de Marianne  écoutant a la radio la ballade de Lucy Jordan  « Ride through Paris in a sports car with the warm wind in her hair » et  cette douzaine d’heures passées dans cette  chambre du Grand Hôtel à Paris avec cette si jolie femme, artiste magnifique .

 

 

 

 

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