samedi 12 octobre 2013

Pas brillant....


Parmi ces activités musicales, il y avait également le spectacle annuel dédié à l’association « Les Enfants de la Terre », parrainée par Yannick Noah, qui se déroulait chaque année au Zénith de Paris en juin, à l’époque du tournoi de Roland Garros.

Lors de cette première rencontre, Yannick m'informa que le nouveau disque Zam Zam venait de sortir chez East-West. Il me le donna à écouter, m’expliquant que les résultats n’étaient pas brillants car les radios refusaient de diffuser ce titre, le jugeant de mauvaise qualité. D’où cette rencontre pour me demander de prendre en main sa carrière et celle de son groupe.


J’écoutai l’album : une suite de chansons bien interprétées, mais sans originalité, ne conférant à celui-ci aucune direction artistique collective. Certaines, comme « Les Frites », étaient profondément éloignées de ma conception de la musique et d’une exigence artistique indispensable même pour les titres les plus légers, les plus frivoles.

Cependant, au détour des notes de pochettes, j’eus une bonne surprise de lire le nom de Wally Badarou, qui avait participé à la réalisation de quelques morceaux.


Wally était synonyme d’Island. Il avait joué les claviers sur beaucoup de CD « historiques » de la maison de disques : ceux de Grace Jones, Marianne Faithfull, Sly & Robbie, Robert Palmer (le riff de « Addicted to Love », c’est lui !), Salif Keita…

Il habitait alors à quelques pas des célèbres studios d'enregistrement Compass Point Studio, à Nassau aux Bahamas, qui recevait entre autres Police, David Bowie, Mick Jagger, James Brown, venus enregistrer leurs nouveaux disques.

Nous nous étions rencontrés à New York en 1986, quand je travaillais chez Island. À mon retour en France en 1989, j’avais souvent revu Wally, notamment lors de la création musicale qu'il réalisa pour le spectacle du Bicentenaire de Jean-Paul Goude.

C’est avec plaisir que je le retrouvai dans le cadre de ce projet, et surtout cela me rassura quant à son potentiel artistique.

Yannick Noah ne deviendrait jamais un chanteur reconnu en interprétant des titres comme « Les Frites », et nous ne serions pas trop de deux pour essayer de le convaincre. En Wally, je trouvai un ami et un allié partageant ma vision de la carrière d’un artiste.


Quelques jours plus tard, je retrouvai Yannick dans son appartement parisien situé dans le quartier du Marais. J’arrivai légèrement en retard, m’étant perdu dans le labyrinthe de nombreuses rues à sens interdit et sinueuses qui jalonnent cet arrondissement historique. C’était tout à fait rarissime de ma part, car je suis toujours à l’heure, la ponctualité faisant certainement partie des qualités indispensables d’un manager.


Je m’aperçus que c’était également un des atouts de Yannick : un sportif se présente évidemment à l’heure lors des compétitions, même au dernier moment !

Cela allait lui arriver souvent au début de sa nouvelle carrière de chanteur, lors de ces émissions de radio ou de télévision qu’il considérait avec un certain dédain, les qualifiant de « services après-vente ». Souvent, j’entendais : « Il va venir ? Il sera là à l’heure ? ». Les attachés de presse n’étaient pas rassurés, mais il ne manqua aucun rendez-vous.


Lors de ce rendez-vous, tous ses musiciens étaient présents : Hervé, le batteur, Michel, le guitariste, François, le bassiste, et Philippe, le claviériste du groupe.


L’appartement du quatrième étage était spacieux, agréable, clair, dans un environnement de murs très colorés. Il reflétait une certaine simplicité qui mettait à l’aise, même si de celui-ci émanait l’étrange impression qu’il n’était pas souvent habité.


La décontraction naturelle de Yannick se communiquait instantanément à tous, proches ou inconnus, et j’allais apprécier chacune de nos rencontres dans les années qui allaient suivre.


Ce vendredi 26 juin restera un moment important dans notre histoire commune : j’expliquai à Yannick, en quelques mots que je souhaitais simples, ma conception d’une carrière d’artiste, ce que je pensais pouvoir apporter à notre projet grâce à mon expérience, et ce que j’estimais ne pas être en mesure de pouvoir lui offrir. En résumé, je n’étais pas un producteur de « tubes », un faiseur de miracles, mais j’étais habitué à travailler au développement sur le long terme, pas à pas si cela s’avérait nécessaire.


Chez Island, nous prenions ce temps : combien de succès ont été bâtis à partir de petites avancées, d’abord modestes, qui avec le temps édifièrent une véritable « carrière ».

Notre respect et notre attachement pour les artistes « maison » s’apparentaient à de la dévotion, voire à de la vénération. Il était important pour nous de les faire reconnaître sans compromis, tels que nous les imaginions, de ne pas les adapter à des plans « médias », mais au contraire d’adapter les médias à nos artistes.

Alors que, dans la logique industrielle actuelle, tout succès doit être immédiatement rentable, nous nous satisfaisions d’un article dans la presse, d’un concert dans un club, de quelques passages à la radio, et je n’ai pas le souvenir que Chris Blackwell, le « boss », ne nous ait reproché le premier ou les deux premiers milliers de disques vendus du tout début – de bien maigres résultats, certainement inacceptables aujourd’hui.


Ces premiers milliers qui, pour Robert Palmer, Marianne Faithfull, Third World ou U2, allaient devenir des dizaines, des centaines de milliers, et pour certain des millions d’albums vendus quelques années plus tard.


J’expliquai donc à Yannick et à ses musiciens que je rencontrerais dans un premier temps leur maison de disques East-West, une division de la major Warner Music, pour faire un état des lieux, et que je leur présenterais ensuite ma stratégie. À cette même occasion, par souci de clarté j’annonçai mes honoraires de manager : 20 % de toutes les recettes à venir liées à l’activité musicale (principalement les revenus provenant des disques, concerts et éditions musicales).


Ne nous connaissant que depuis peu, je dis à tous qu’il n’y avait pas d’urgence à signer un contrat. Je voulais ainsi que Yannick soit en confiance et ne s’engage avec moi, manager, qu’une fois qu’il serait certain d’avoir fait le bon choix. Je souhaitais que cette entente soit le résultat d’une décision mûrie basée sur ma future stratégie et ses premiers résultats.

D’ailleurs, Bob Marley n’avait-il jamais signé un contrat de management avec Chris Blackwell ? Est-ce que U2 et leur manager Paul McGuiness ont attendu qu’un papier soit signé entre eux pour débuter leur collaboration ?

Les grandes carrières, ou la plupart, ont souvent débuté non par des accords signés entre des parties, mais portées par une vision, une volonté de convaincre, de persévérer, de réussir, et pourquoi pas, l’ambition de « changer le monde » grâce à la musique.
 
 
à suivre....

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire